Police fédérale, Los Angeles (1985) de William Friedkin avec Willem Dafoe, William Petersen, John Turturro (Editions Carlotta films). Sortie en DVD le 6 décembre 2017

Rendez-vous avec le démon

Difficile de nier que William Friedkin est un réalisateur efficace et particulièrement énergique. En abordant à nouveau les rivages du polar musclé, l’auteur de L’Exorciste semble vouloir répéter les recettes de French Connection. On retrouvera donc dans Police fédérale, Los Angeles une scène de bravoure assez similaire à la mythique scène de poursuite entre une voiture et le métro aérien de French connection mais, cette fois, entre deux voitures et un train. La séquence se terminera par une folle lancée sur une autoroute prise à l’envers et un carambolage spectaculaire. Les amateurs de sensations fortes et les nostalgiques des années 80 (musique synthétique tonitruante, brushings improbables…) trouveront leur compte, de ce point de vue, dans le film.

De mon côté, même si je reconnais tout le savoir-faire que l’on veut à Friedkin, ce n’est pas cet aspect qui m’intéresse le plus. Car au-delà d’un scénario solide mais assez traditionnel, c’est l’ambiguïté qu’y injecte Friedkin qui fait l’intérêt de To live and die in Los Angeles (titre original). Le film reprend d’abord à son compte certains éléments chers au western. Un flic proche de la retraite (il lui reste trois jours de service !) traque un trafiquant de fausse monnaie (Willem Dafoe) et se fait tuer lors de son intervention. Après avoir filmé en détail la fabrication de faux billets, le cinéaste montre la prise de cet entrepôt où se déroulent ces activités illicites comme la prise d’un fort qui aurait mal tourné. Quelques plans larges nous permettent de nous faire une idée de ce lieu isolé. Suite à ce décès, Richard Chance (le même nom que le shérif de Rio Bravo) va tout faire pour capturer le faussaire et venger son coéquipier qui était aussi son meilleur ami.  On retrouve, là encore, un thème qui parcourt un bon nombre de western : celui de la transmission et de la « filiation » couplé à celui de la vengeance. Dans un monde corrompu, il s’agit de s’accrocher à des valeurs comme celle de l’amitié ou de la loyauté.

Le problème, c’est que pour arriver à ses fins, Chance va, avec la complicité d’un nouveau coéquipier, emprunter des voies flirtant avec l’illégalité. Bien que représentant la Loi, notre flic va utiliser des méthodes assez similaires à celles employées par la pègre : infiltrations, chantages, corruption… Friedkin aime faire nager ses personnages en eaux troubles. J’étais resté assez sceptique face à Cruising (à revoir peut-être) parce que je trouvais que le film aurait dû être plus vertigineux. Dans mon souvenir, jamais Al Pacino ne franchissait la ligne jaune qui aurait pu le faire basculer du côté du monde interlope qu’il infiltrait. Ici, et c’est tout l’intérêt de Police fédérale, Los Angeles, Chance et son coéquipier franchissent la frontière d’ailleurs bien poreuse entre le Bien et le Mal. On réalise, dans les portraits en miroirs qui sont proposés ici (entre le flic et le truand) à quel point ce film a pu influencer le Heat de Michael Mann (les plans aériens de la cité des anges en ouverture). Mais là où Mann réalisera un film un poil compassé et froid, Friedkin nous offre un polar fiévreux troué par des éclairs de violence assez impressionnants.

Une des autres obsessions de Friedkin, c’est l’idée de contamination. Si le Mal est une figure centrale de son cinéma, c’est aussi par sa puissance de contamination qu’il effraie, à l’image de la fillette de L’Exorciste qui se fait posséder par le diable. Dans Police Fédérale, Los Angeles, Willem Dafoe compose une figure diabolique assez fascinante. Faussaire, il est également doué pour la peinture. Au début du film, il brûle l’une de ses toiles et ces flammes annoncent le dénouement final. Chez ce personnage, il y a une vraie dimension démoniaque (voir ce plan où, tout nu, il est éclairé par les flammes du feu où se consument de faux billets) et surtout l’idée que cette figure peut contaminer ceux qui chercheraient à l’arrêter.

Face à lui, Chance bascule de l’autre côté et comme un flic pourri imaginé par Ellroy, il a recours à tous les stratagèmes pour toucher au but. Friedkin filme de manière assez brute cette absence de scrupules. A l’image de ce moment où Chance saute d’un pont attaché par la cheville pour se donner des sensations, il s’agit de faire l’expérience du vide et du vertige, se confronter au Mal en contournant les moyens légaux.

L’ambigüité qui gagne tous les personnages (un trafiquant peut aussi se révéler être un agent du FBI !) finira par contaminer même ceux qui paraissent les plus probes. Là encore (sans trop en révéler), il sera question de transmission et de contamination.

Avec un certain talent (parfois un peu tapageur), Friedkin nous aura plongés dans les eaux troubles d’un monde gagné par l’incertitude et la fin des repères moraux traditionnels…

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