Wonder Wheel (2017) de Woody Allen avec Kate Winslet, James Belushi, Justin Timberlake, Juno Temple Wonder Wheel (2017) de Woody Allen avec Kate Winslet, James Belushi, Justin Timberlake, Juno Temple

Quelques notes sur "Wonder Wheel"

Quelques notes très rapides sur le dernier Woody Allen.

  • Résumé succinct : à Coney Island dans les années 50, une jeune femme, Carolina (Juno Temple), fuit son gangster de mari et va se réfugier chez son père Humpty (J.Belushi). Ce dernier vit avec Ginny (K.Winslet), une femme plutôt frustrée par sa nouvelle vie d’épouse (elle a laissé passer le grand amour dans sa jeunesse). Ginny rencontre Mickey (J. Timberlake), un séduisant maître-nageur qui, par la suite, ne sera pas insensible au charme de Carolina…

 

  • On reproche traditionnellement à Woody Allen de faire toujours le même film. Or je me demande si, en réalité, on ne lui en veut pas de ne pas refaire indéfiniment Annie Hall et Manhattan, à savoir des comédies brillantes et douces-amères.

 

  • Wonder Wheel reprend bien évidemment les thèmes chers au cinéaste (le Destin, le rapport à l’illusion…) mais dans une forme relativement nouvelle chez lui car très « théâtralisée ».  Ca a beaucoup été dit mais l’on songe aussi bien à Tennessee Williams qu’à Eugene O’Neill cité directement dans le film. Ambiance lourde et moite, faite de frustrations et de rêves avortés.

 

  • Cette théâtralité n’empêche évidemment pas Woody Allen de nous proposer une mise en scène extrêmement brillante. Un exemple entre mille : lorsque Carolina raconte son histoire à Mickey dans une voiture, sous une pluie battante (la pluie est systématiquement un élément et déclencheur érotique chez Allen. Voir encore tout récemment une très belle scène de Magic in the Moonlight). Le découpage est ultra-classique, un champ contrechamp qui épouse parfaitement chaque mot des personnages. La lumière aidant, une parfaite fluidité scelle la relation naissante entre les deux personnages. Plus tard, vers la fin, quand les choses se sont envenimées (nous n’en dirons pas plus), Woody Allen confronte Ginny, un peu saoul, et Mickey. Cette fois, il se concentre sur le personnage féminin et la suit avec une rare virtuosité dans un espace confiné, brisant de manière très rare le plan-séquence par des contrechamps sur Mickey. Par son découpage, le cinéaste traduit à merveille la solitude de son héroïne et la manière dont elle chavire.

 

  • Wonder Wheel est un film noir et cruel mais en aucun cas un film méprisant. Woody Allen ne se place jamais au-dessus de notre dérisoire condition d’être humain.

 

  • On reproche au cinéaste de ne pas aimer ses personnages. J’y vois pourtant beaucoup d’empathie, ne serait-ce que dans le soyeux travelling qui accompagne l’arrivée de Carolina ou dans les magnifiques gros plans sur le visage de Kate Winslet. Ces personnages sont pleins de défauts, de faiblesses, parfois veules et lâches mais jamais Allen les méprise. Il n’y a pas, par exemple, un personnage surplombant qui incarnerait le « vrai » par rapport aux autres comme dans La Villa de Guédiguian où les vieux « résistants » aigris voient leur monde s’écrouler et semblent constamment faire la leçon à une jeunesse sans conscience et acteur d’un monde abject (adepte des nouvelles technologies, du discours libéral en cours…)

 

  • Kate Winslet n’a jamais été aussi belle et aussi bonne comédienne. Elle est géniale, notamment dans le monologue en (presque) plan-séquence évoqué plus haut.

 

  • Woody Allen rend un hommage évident au grand mélodrame hollywoodien des années 50. La scène d’ouverture fait penser au Mirage de la vie de Sirk tandis que c’est à Tout ce que le ciel permet qu’on songe lors de la très belle séquence de l’anniversaire de Ginny (qui ne reçoit pas un téléviseur mais un magnétophone). Avec beaucoup d’intensité, le cinéaste filme l’étouffement progressif de son héroïne : par la structure familiale, par la manière dont la société lui assigne une place qui n’est pas la sienne (ménagère pour son mari, serveuse alors qu’elle fut comédienne…) et par des sentiments que tout un chacun a pu toucher du doigt : l’angoisse de vieillir, d’avoir fait de mauvais choix, d’avoir pris le mauvais chemin.

 

  • Le caractère dérisoire, absurde et totalement aléatoire de la destinée humaine est devenu le thème le plus récurrent du cinéma de Woody Allen, de Match Point à L’Homme irrationnel en passant par le magnifique Vicky, Cristina, Barcelona

 

  • Beaucoup d’éléments « autobiographiques » sur lesquels il serait possible de gloser, à la fois du côté de l’enfance (le petit garçon roux pyromane qui préfère le cinéma à l’école) et de la vie sentimentale de l’auteur (Mickey délaisse une actrice névrosée, qui n’aime pas le base-ball, pour lui préférer sa belle-fille). Wonder Wheel est un nouveau chapitre dans la plus grande des œuvres romanesques en cours.

 

  • Un mot sur l’image magnifique de Vittorio Storaro qui, après Cafe Society, pousse le cinéma de Woody Allen vers plus d’artifice. Ici, la lumière extrêmement travaillée et complètement saturée traduit les états d’âme des personnages et leurs sentiments. Rien de gratuit mais une volonté de souligner la théâtralité assumée du projet. Sirk, toujours…

 

  • Pendant longtemps, l’illusion et l’art ont été pour Woody Allen des refuges et de précieux viatiques (La Rose pourpre du Caire, Meurtre Mystérieux à Manhattan, Le Sortilège du scorpion de jade, Scoop, Minuit à Paris…). Aujourd’hui, cruauté suprême, ses personnages semblent avoir traversé la toile de l’écran mais pour se prendre en plein visage les murs de l’absurde réalité. Quelles que soient les décisions prises, elles s’accompagneront toujours de regrets et de ce sentiment inéluctable de passer à côté de quelque chose d’autre…
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