Les Sorcières du bord du lac (1970) de Tonino Cervi avec Haydée Politoff, Silvia Monti, Ida Galli (Editions Montparnasse). Sortie en DVD le 4 janvier 2018

Mes sorcières bien-aimées

Fils de Gino Cervi (Peppone dans Don Camillo) et auteur d’une dizaine de longs-métrages, Tonino Cervi n’a pas laissé une empreinte inoubliable dans l’histoire du septième art transalpin. A la limite, on le connaît presque mieux comme producteur puisqu’il travailla avec Bolognini (Les Garçons), Bertolucci (La Commare Secca), Sergio Corbucci ou encore Antonioni (Le Désert rouge). Pourtant, en découvrant ces curieuses Sorcières du bord du lac, on se dit qu’il serait bon d’aller jeter un œil sur l’ensemble de son œuvre.

Le film est en effet une jolie curiosité, débutant comme un roman étrange de Kurt Steiner. Sur une route déserte, un jeune homme chevelu au guidon de sa moto s’arrête pour aider un automobiliste cossu à changer une roue. Plutôt que de lui témoigner de la reconnaissance, l’homme se montre hautain et va même jusqu’à crever un pneu de la moto du dénommé David, sans la moindre raison. Tonino Cervi semble alors tenir un discours « social », soulignant les oppositions de classe entre l’idéaliste libertaire, prêt à aider son prochain, et le riche satisfait de pouvoir abuser de ses privilèges. De la même manière, la façon dont est perçu le jeune homme qui décide de faire de l’auto-stop rappelle l’hostilité des péquenauds ricains face aux hippies d’Easy rider.

Si le cinéaste reviendra sur cette piste de la fable sociale, il va d’abord, à l’instar de son héros, prendre un chemin de traverse et se perdre dans la forêt. Investissant un abri de fortune, David fait la connaissance de trois jolies femmes mystérieuses et envoûtantes. Liv, Samantha et Bibiana sont trois sœurs qui semblent vivre en autarcie dans une maison au style pourtant très moderne. D’abord enchanté par cette charmante compagnie, David discute amour libre et nouveaux modes de vie avec ses ravissantes hôtesses. Mais peu à peu, il est intrigué par leurs comportements étranges (l’une d’elle prend un plaisir un peu trop visible à empailler un animal) et toute sorte de faits singuliers.

Tonino Cervi navigue entre une sorte de balade bucolique parfois un peu trop nonchalante et quelques envolées oniriques assez troublantes. Comme le titre français l’indique, on devine que ces trois femmes sont des sorcières qui déploient leurs sortilèges pour séduire David. Certains effets-spéciaux font sourire (Liv qui apparait comme dans la série Ma sorcière bien-aimée, dont l’héroïne s’appelait également Samantha) tandis que certains jeux avec les décors, les accessoires parviennent à créer un trouble de la perception chez le jeune homme comme chez le spectateur. Le fantastique n’est jamais abordé frontalement mais par de subtils glissements, créant un climat insolite accentué par les petites rengaines entêtantes qui ornementent la bande-son. Ces ritournelles entonnées par une voix féminine annoncent de manière assez étonnante celle qui ouvre Rosemary’s Baby de Polanski, film qui possède par ailleurs plusieurs points communs avec l’œuvre de Cervi, notamment cette manière de montrer une communauté d’individus qui pourrait bien être « diabolique ».

Ce climat insolite est agrémenté d’un zeste d’érotisme très chaste mais plutôt charmant. On le doit bien évidemment à la présence volcanique des trois comédiennes. Ida Galli était déjà apparue dans Le Guépard de Visconti mais on se souvient également d’elle dans Le Corps et le fouet de Bava et La Queue du scorpion de Martino. On ne présente plus la sublime Silvia Monti, inoubliable dans Le Venin de la peur de Fulci et vue récemment dans des films comme Sais-tu ce que Staline faisait aux femmes de Liverani ou Tant qu’il y a de la guerre, il y a de l’espoir de Sordi. Enfin, c’est avec un immense plaisir que l’on retrouve la sublime « collectionneuse » de Rohmer Haydée Politoff dans le rôle de la troisième sorcière, celle qui paraît la plus ingénue.

Tout le charme du film tient à la présence de ces trois belles qui entourent un bien chanceux Ray Lovelock, acteur qui a débuté aux côtés de Tomas Milian et que l’on a pu voir également (encore dans un rôle de hippie chevelu) dans Le Massacre des morts-vivants de Jorge Grau.

Si Tonino Cervi axe son récit sur un aspect insolite et onirique, il finit par retrouver les chemins de la fable politique sur la fin. Je déconseille désormais à mes aimables lecteurs qui souhaiteraient découvrir le film en toute innocence de poursuivre la lecture car je vais révéler quelques faits.

En effet, tous ces éléments fantastiques liés à la sorcellerie finissent par aboutir au même fil métaphorique entrevu au début : c’est lorsqu’il est complètement envoûté par les sorcières, que sa volonté est annihilée que David se fait massacrer par les « démons ». Ceux-ci représentent donc les forces répressives de la société et ses piliers (nantis, hommes de pouvoir…) qui cherchent à dompter les rebelles. Cette fin très explicite, où les « diables » constatent qu’il est désormais plus difficile de formater les esprits (« créez leur des besoins inutiles » dit de manière très situationniste le Diable) des rétifs à l’ordre des choses de plus en plus nombreux.

A ce moment, Les Sorcières du bord du lac apparaît comme une fable libertaire héritière de l’esprit contestataire de la fin des années 60 qui souffla sur le monde entier ou presque. Et c’est ce parfum capiteux de soif de liberté et de nouveaux rapports humains  qui fait le prix de cet OVNI sans doute imparfait mais néanmoins recommandable…

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