Time and Tide (2000) de Tsui Hark avec Nicholas Tse, Cathy Chuy (Editions Carlotta Films) Sortie en BR et DVD le 6 mars 2018

© Carlotta Films

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Tourné trois ans après la rétrocession du territoire à la Chine, Time and Tide s’inscrit dans le courant de renouveau du cinéma d’action hongkongais (John Woo, Johnnie To, Ringo Lam, etc.) dont il fut l’un des instigateurs et l’un des plus brillants représentants (la saga Il était une fois en Chine, The Blade…)

Time and Tide débute néanmoins comme un film de Wong Kar-Wai (on songe aussi bien à Chungking Express qu’aux Anges déchus) puisqu’on y fait la connaissance de Tyler (Nicholas Tse) qui travaille dans un bar et qui, par une nuit d’ivresse, met enceinte une ex-policière lesbienne. Le jeune homme tient à aider la mère de son futur bébé (qui ne veut pourtant plus entendre parler de lui !) et décide de devenir agent de sécurité pour gagner un peu d’argent. Il rencontre Jack avec qui il se lie d’amitié. Mais ce dernier est lié à un gang de mafieux latinos et les choses vont s’envenimer…

Si l’on songe d’abord à Wong Kar-Wai, c’est pour l’atmosphère très particulière que Tsui Hark impose d’emblée : personnages beaux comme des demi-dieux, ivresses nocturnes lestées d’une profonde mélancolie (le couple vomissant à la fois son alcool et son mal de vivre), incommunicabilité du couple… Le tout filmé avec une indéniable virtuosité : fragmentation de l’espace (plans ultra-courts, réel « explosé » dans les mille reflets des néons et des lumières de la ville, angles de prise de vue constamment insolites…), dilatation du temps entre l’extrême rapidité du tempo (montage haché, morcelant l’action) et un sentiment de suspension (images ralenties) qui traduit à merveille ces moments où l’on souhaiterait que le temps s’arrête lorsque le cœur bat plus fort en certaines occasions…

Avant cela, une voix-off nous aura proposé une relecture toute particulière de la Genèse mettant en avant l’imperfection de l’homme et son entente impossible avec la femme. En dépit de ce chaos biblique qui ouvre le film, Tsui Hark bouclera son film de manière circulaire (retour à cette énonciation biblique) et terminera sur une note d’espoir : une naissance et la possibilité que les nouvelles générations mettent un terme au désordre.

L’exégète pourra sans doute trouver de nombreuses pistes à creuser dans ce film hanté par le temps (« Time »), comme beaucoup de films hongkongais conscients de l’approche d’une nouvelle ère (la rétrocession) mais également le mouvement (« Tide » pouvant se traduire à la fois par « courant » ou « marée »), un mouvement qui finit par submerger littéralement tout l’univers créé.

On notera également, même si c’est de façon diluée et fragmentaire, que les deux héros (Tyler et Jack) seront, comme dans certains films de John Woo, à la fois des « frères » d’armes mais également des rivaux aux destins similaires (la femme de Jack attend également un bébé). On pourra éventuellement y voir une image du rapport de Hong-Kong à la Chine, notamment dans la manière dont Tsui Hark joue sur différents registres de langues (au chinois se mêlent l’anglais et l’espagnol des gangsters latinos).

On l’aura compris, Time and Tide est un film intéressant, réalisé avec une virtuosité indéniable. Les amateurs d’action pure seront aux anges devant certaines scènes de poursuites ou de duels à distance, constamment rehaussées par des trouvailles visuelles brillantes.

Malgré ça, je dois avouer humblement que, pas plus qu’à sa sortie en salles, je n’adhère entièrement au film. D’une part parce que le récit est extrêmement confus et pas très bien construit (si je m’en tiens au simple niveau, basique, de « compréhension » de l’histoire). D’autre part, et c’est ma principale réserve, c’est que j’ai désormais un peu l’impression d’avoir vu mille fois cette histoire de gangsters rivaux qui se tirent dessus sur fond d’explosions spectaculaires et de pigeons qui s’envolent (coucou John Woo). Tsui Hark a beau être un prodige de la caméra, j’avoue que cette mythologie du gangster en cravate qui flingue à tire-larigot (ce cliché du révolver tenu de manière oblique !) me laisse de plus en plus froid…

Mais encore une fois, d’un point de vue purement « plastique », Time and Tide est extrêmement brillant et sa beauté fragmentaire mérite assurément le coup d’œil…

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