Replay (2019) de David Didelot (Editions Videotopsie, 2019)

Les années VHS

Chroniquer le récit autobiographique de David Didelot, c’est prendre le risque de succomber à cette plaie de l’époque que l’auteur dénonce très justement : la tentation de tirer la couverture à soi et de se complaire dans un certain culte du Moi. Car il est évident que Replay est avant toute chose un miroir tendu à une génération ayant grandi dans les années 80, biberonnée à la VHS et aux soirées télé mémorables (Amityville, l’Exorciste, le premier film érotique diffusé en prime-time par feu La 5…) et adepte des « plaisirs interdits » procurés par le cinéma fantastico-horrifique. Dès lors, le désir d’y aller de son anecdote personnelle, de son petit souvenir personnel pourrait occulter les réelles qualités du livre au profit d’une introspection trop égocentrée.

Succombons néanmoins à la tentation puisque l’un des grands plaisirs procurés par la lecture de Replay vient de cette sensation d’extrême familiarité des trajectoires, un peu à la manière de cette chanson de Vincent Delerm (sans doute pas la came de l’auteur !) qui disait :

« Nos histoires d'amour sont les mêmes
Comme si nous avions pratiqué
Dans des piscines parallèles
La natation synchronisée »

Je savais, par exemple, que David avait été élève dans le lycée où j’officie désormais et que le professeur de lettres qui le marqua tant fut une de mes collègues. Mais j’ignorais qu’il était également passé par le collège d’Is-sur-Tille où je fus élèves pendant 5 ans. Lorsqu’il évoque les quelques fois où il put aller au cinéma de cette ville (pour dévoiler le nom oublié de cette salle, c’était : « Les Violettes »), difficile de ne pas avoir des réminiscences de quelques séances où j’accompagnais ma mère pour voir Trois hommes et un couffin ou L’Effrontée (sur des sièges en bois, si mes souvenirs sont bons).

De la même manière, David évoque le temps d’un souvenir assez saisissant une effrayante séance de spiritisme auquel il participa au lycée. Pour ma part, je n’y ai jamais été convié mais des copains d’internat se livrèrent aussi à cette expérience et en revinrent traumatisés en racontant son déroulement (verre brisé, table mouvante…).

Etudiant à Dijon, l’auteur a vu dans la capitale des ducs de Bourgogne certains films que je vis dans les mêmes salles : le choc Sailor et Lula à la Grande Taverne, Twin Peaks fire walk with me, Le Silence des agneaux… Etant alors encore lycéen, je profitais de mes mercredis après-midi pour dévorer de la pellicule et n’avait pas encore l’occasion d’y aller en soirée.

Je pourrais continuer longuement la litanie : la découverte indélébile de Mad Movies (pour moi, ce fut celui sur Avoriaz 1987, le n°45 si ma mémoire défaillante ne me joue pas encore un tour), le goût pour Stephen King (à peu près le seul auteur que j’aie lu jusqu’en 1ère), la curiosité suscitée par les récits des amis (je me souviens de cette envie de découvrir L’Au-delà lorsqu’un camarade me parla de « Joe le plombier ») … Et même si nos goûts musicaux divergent (j’étais plutôt blues, new-wave et « guitar heroes » à l’époque que métal et hard-rock), sa manière d’évoquer sa passion me semble tout à fait conforme à ce que purent vivre un certain nombre d’adolescents de l’époque (les cassettes qu’on se prêtaient, la recherche de certains « imports », le premier lecteur CD…).

Au-delà des anecdotes d’un « enfant du siècle » qui ne pourraient concerner que lui, David Didelot parvient à saisir la couleur et l’odeur d’une époque avec beaucoup de talent et de sensibilité (ça s’appelle aussi le style). Replay est un bain de jouvence qui fait revenir des réminiscences de ces week-ends qui débutaient par l’arrêt au vidéoclub, la location de VHS et les soirées sacrifiées à regarder (et parfois dupliquer) les grands classiques signés Carpenter, Craven, Cronenberg, Raimi ou Tobe Hopper. Là encore, je pourrais citer mille moments qui ressemblèrent à ceux que vécurent David, notamment celui où je regardai Ré-animator tandis que mes petits frères (bien jeunes !) étaient également présents dans la salle. L’un d’eux partit en courant à la première scène « gore » tandis que l’autre restait stoïque, mangeant tranquillement sa tartine de Nutella !  

Par la suite, l’auteur évoque en long et en large l’aventure de son fanzine, des premiers numéros balbutiants, rédigés comme « des rapports de stage » jusqu’aux dernières livraisons aux copieux sommaires. La passion pour le cinéma constitue évidemment le fil directeur du récit, une ligne où viennent ensuite se greffer la trajectoire personnelle, qu’elle soit sentimentale ou professionnelle, avec une manière assez fine de montrer comment une passion « exclusive » peut avoir des répercussions dans les autres domaines (j’en sais aussi quelque chose !).

Le tout ponctué par des petits coups de griffes (David est fièrement un homme du « monde d’avant ») et des réflexions sur notre monde comme il ne va pas. Si sur certains points nous ne serons sans doute pas d’accord (pas tant que ça, au fond), il faut souligner qu’il n’y a jamais rien du « prêcheur » chez notre auteur. Au contraire, rien de dogmatique chez lui et une loyauté à toute épreuve (je pus la constater lorsqu’il fut le premier à me défendre lors d’une sombre affaire qui m’opposa à des individus prêchant pourtant la tolérance et les beaux horizons utopiques) reposant sur un certain nombre de valeurs. Seuls les amateurs d’étiquettes et de cases rigides où ranger les individus trouveront à y redire…

Replay lui ressemble, au fond (n’est-ce pas ce qu’on recherche lorsqu’on entreprend une autobiographie ?) : généreux, passionné, curieux et droit dans ses bottes… Un régal pour ceux qui vécurent cette époque, un document précieux pour ceux qui ne la connurent pas et qui voudraient en humer le parfum à jamais disparu…

 

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