Dominique Marchais : le temps du regard (2023) de Stratis Vouyoucas et Quentin Mével (PlayList Society, FaceB, 2023)

 

A la campagne

Ce n'est pas la première fois que je fais l'éloge de la collection « Face B » des éditions PlayList Society puisqu'elle permet, à l'occasion de la sortie du dernier film d'un cinéaste, de revenir sur une œuvre en gestation et déjà cohérente. La formule est simple : un court essai en guise d'introduction suivi d'un entretien fouillé où le metteur en scène à l'honneur revient sur chacune des ses œuvres. S'il s'agit de profiter de l'actualité, il n'y a pourtant rien d'opportuniste dans la démarche de l'éditeur puisqu'il s'agit de mettre en lumière des filmographies peu étudiées et parfois « fragiles ». Aux côtés de cinéastes plus aguerris (Wiseman, Salvadori, Mazuy...), on trouvera ainsi des auteurs beaucoup moins connus et il faut saluer l'audace d'avoir consacré un ouvrage à Henri-François Imbert, par exemple. Audace que l'on retrouve aujourd'hui dans ce petit essai dédié à Dominique Marchais, accompagnant la sortie de son quatrième long-métrage La Rivière.

Pour être tout à fait franc, non seulement je n'ai vu aucun des documentaires de ce réalisateur mais je crois que j'aurais été bien incapable de citer un seul titre parmi sa filmographie (pourtant, à l'instar de Nul homme n'est une île, certains sont très beaux). C'est là que la collection prend tout son sens : faire découvrir des œuvres, prendre le temps de revenir plus en profondeur sur un travail singulier (les entretiens sont toujours très bien menés et celui-ci ne fait pas exception à la règle) et ouvrir les horizons du cinéphile.

Pour ce faire, l'excellent essai de Stratis Vouyoucas se révèle particulièrement éclairant. Il nous fait découvrir un documentariste soucieux avant tout des paysages, des territoires et de la manière dont l'organisation du monde les menace. Lorsqu'il évoque Le Temps des grâces, Vouyoucas écrit :

« On découvre à quel point l'alliance de l’État et des intérêts financiers forme un rouleau compresseur auquel il est terriblement difficile de résister. L'aménagement du territoire n'est plus pensé comme un bien commun, mais comme une source de profit qui a pour conséquence l'accroissement ininterrompu des zones pavillonnaires, des zones d'activités commerciales ou autres plateformes logistiques qui impriment le paysage de leur laideur indélébile. »

On comprend alors que le cinéma de Dominique Marchais s'articule entre un désir de lier géographie et politique, de montrer les conflits entre des intérêts politiques, financiers et ceux qui cherchent à préserver les paysages, qui se soucient d'écologie. Le cinéaste l'exprime clairement lorsqu'il dit :

« Je vais vers ce qu'il reste de beauté. Je filme la beauté dans son « être minoritaire ». Les personnes que je filme sont également minoritaires. Elles sont maltraitées, conspuées. Le Président de la République les moque en les traitant d' « amishs », le ministre de l'Intérieur et tant d'autres, d'éco-terroristes. Et s'il ne s'agissait que d'eux ! Nombre de grands médias font preuve d'une ignorance crasse et d'une méchanceté écœurante sur tout ce qui a trait à la défense de l'environnement. »

Résumer de la sorte, on pourrait craindre d'être face à un énième avatar de ces cinéastes militants pour qui le cinéma ne sert qu'à illustrer une thèse. Évoquant Le Temps des miracles, Stratis Vouyoucas écrit que le film « ne se contente pas d'être la courroie de transmission d'un savoir déjà constitué : il (se) pense avec nous, ses spectateurs, en se faisant, sans connaître, préalablement son objet, mais en le définissant au fur et à mesure qu'il progresse, et il nous aide à penser avec lui. Il ne nous écrase pas de son surplomb, se distinguant en cela de la pléthore de films écologistes à visée pédagogique. »

L'intérêt de l'entretien avec Dominique Marchais tient notamment à cette manière qu'a le documentariste d'évoquer son approche du Réel en des termes avant tout cinématographiques. Avec clarté, il explique sa démarche, sa méthode de travail et ses références qui vont de Marcel Ophüls à Renoir (celui de Toni et La Marseillaise) en passant par Rossellini et John Ford. Intéressé aussi bien par les questions d'urbanisme, d'architecture, d'histoire des paysages, d'agriculture, de sociologie, et de bien d'autres disciplines, il explique comment il « chemine » plus qu'il ne « programme » afin de poser le regard le plus juste sur le réel. Le livre permet aussi de saisir l'évolution du cinéaste, de ses premiers films hantés par l'idée du forum (confronter les diverses paroles) et d'une certaine convergence des idées à une vision plus pessimiste et un repli du côté de ceux qui résistent à la catastrophe écologique en cours.

Un petit ouvrage qui donne, une fois de plus, envie de découvrir un cinéaste à la fois minoritaire mais dont les propos témoignent d'une grande exigence et d'une indéniable cohérence.

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