Sin city (2005) de Robert Rodriguez et Frank Miller avec Bruce Willis, Jessica Alba, Mickey Rourke, Elijah Wood

 undefined

Puisque ma petite polémique autour de Jessica Alba semble avoir porté ses fruits, remettons un peu d’huile sur le feu afin d’exacerber les passions que semble susciter cette asperge moite (je n’ai aucune idée de ce à quoi peut ressembler une « asperge moite » mais j’aime bien l’expression !) chez les plus jeunes de nos lecteurs ; la miss faisant partie de la prestigieuse distribution de Sin city (elle y incarne une jeune femme de 19 ans amoureuse du valétudinaire Bruce Willis qui l’a sauvé autrefois).

Le film de Rodriguez et Miller nous amène une fois de plus à remettre sur le tapis la question de la transposition des bandes dessinées sur grand écran. Nous l’avions déjà dit : d’Astérix aux pensums de Bilal en passant par les horribles adaptations de Reiser ou Lauzier, le résultat est généralement consternant (le seul contre-exemple qui me vienne immédiatement à l’esprit, c’est A history of violence, génialement transposé au cinéma par Cronenberg).

Pour Sin city, je dois avouer que j’ai trouvé le début prometteur. Moi qui suis pourtant allergique au numérique, j’ai vu pour une fois une vraie recherche plastique dans cet univers glauque où le noir et blanc dominant est parfois troué par des tâches de couleurs vives (le rouge du sang, le jaune du monstre sanguinaire, le bleu des yeux d’une petite prostituée…). On repère aussi une véritable inventivité du cadre avec ces plongées verticales sur des escaliers à la Escher et des compositions assez élaborées.

Je ne connais pas la BD originelle mais je présume fortement que ce travail de stylisation est davantage l’œuvre du dessinateur Frank Miller que de ce gros lourdaud de Rodriguez, pourvoyeur accoutumé de gros navets indigestes (Desperado, Une nuit en enfer, The faculty…). Toujours est-il que pendant cinq minutes, on se dit qu’on tient peut-être un objet hybride convaincant entre le cinéma et la BD.

Las ! Autant vous prévenir tout de suite : j’ai vite déchanté. Passons sur le côté relativement stupide du scénario et de ces sempiternelles divagations « techno-futuristes » qui me tapent vite sur le système. Ce sur quoi achoppe à mon sens totalement Sin city, c’est sur la question du corps et de l’incarnation des personnages.

Car quoiqu’on en dise, même si nous avons affaire à un cinéma presque totalement numérisé, où l’acteur a quasiment disparu ; il y a toujours un moment où le cinéaste doit se confronter au corps de l’acteur et à traiter ce qu’il subit (en l’occurrence ici tous les outrages imaginables) d’une manière qui ne peut pas être identique à celle de la BD.

Et pour le coup, je dois avouer que la représentation de la violence, qui ne me gêne pas en soi (je suis habitué à voir des films « gore » depuis l’âge de 15 ans !), m’a ici extrêmement dérangée. Rodriguez ne sait absolument pas quoi faire de cette violence : parfois il lui donne un côté irréaliste de dessin animé parodique (le type qui se prend une flèche dans le corps et qui continue à deviser comme si de rien n’était…), parfois il joue la stylisation (le sang et les viscères jaunes), d’autres où il est presque dans une sorte de « réalisme expressionniste » (les interrogatoires musclés que subissent Rourke ou Willis !).

Les personnages mourants semblant pouvoir revivre, on ne sait plus sur quel pied danser et si la mort à encore une signification dans cet univers.

Cette incapacité d’avoir un quelconque point de vue sur la violence est extrêmement déplaisant d’autant plus que le film joue sans cesse sur les pulsions de vengeance les plus malsaines du spectateur.

Il finit même par devenir nauséeux dans cette manière qu’il a de prendre en otage le spectateur pour le faire pleurnicher sur le sort de victimes toutes désignées (les enfants, bien sûr, -avec cette horrible gamine dont le jeu atroce rendrait abstinent le plus givré des pédophiles ! -, mais aussi les femmes…) et de le manipuler afin d’espérer des justiciers qu’ils soient les plus sadiques possibles. 

Comme cette violence n’est portée ni par un véritable regard sur le monde, ni par des personnages ambigus (qui restent, malgré tout, des silhouettes en deux dimensions) ; le tout vire rapidement au jeu de massacre sans le moindre intérêt.

Ce qui aurait sans doute fait un beau clip noir et nihiliste de cinq minutes s’étend sur deux heures qui s’avèrent, au bout du compte, assez pénibles…

Retour à l'accueil