One + one (1968) de Jean-Luc Godard avec les Rolling Stones, Anne Wiazemsky

 

 

Parmi les reprises récentes, celle de One + one est sans doute l’une des plus enthousiasmantes. D’une part parce qu’il est  aujourd’hui très difficile de découvrir les films de la période dite « politique » de Godard (qui s’étale, en gros, de 1968 au milieu des années 70) ; d’autre part parce qu’on ne peut nier l’intérêt « historique » de cet essai où les Rolling Stones croisent le « black power » et le cinéma de Godard la contestation globale de cette fin des années 60.

Après les événements de mai 68, le cinéaste file à Londres pour consacrer un film aux Rolling Stones qui enregistrent l’un de leurs titres mythiques : Sympathy for the devil. En parallèle à ces séances d’enregistrement (en plus, si l’on se fie au titre du film en forme d’addition), de longs plans-séquences qui lorgnent du côté des luttes et de la contestation. Nous y reviendrons.

 

 

1-     Les Rolling Stones.

 

20 ans avant les Rita Mitsuko (ce sera Soigne ta droite) , Godard consacrait déjà un film à un groupe de rock au travail, élaborant petit à petit une chanson appelée à devenir un tube planétaire. Même si l’on est peu sensible à la musique des Stones (personnellement, j’aime plutôt mais je connais très mal) , on peut être séduit par la manière dont Godard montre le long cheminement qui préside à l’accouchement d’une chanson. En plans-séquences qui balaient consciencieusement l’espace du studio d’enregistrement, le cinéaste s’attarde sur les répétitions, dévoile les premières moutures du morceau (d’abord très folk) et les méthodes de fabrication du tube (chacun jouant d’abord plus ou moins dans son coin).

Cette exploration de l’envers du décor me semble l’aspect le plus intéressant du film.

 

 

       2- Le monde en lutte

 

 

S’il existe un domaine où Godard excelle, c’est bien celui du montage. On l’imagine mal jouer les groupies des Stones et ne pas tenter de relier ce phénomène de société (le rock) aux convulsions de l’époque. Les séances d’enregistrement sont d’abord court-circuitées par une voix-off qui récite un roman porno où tous les « grands de ce monde » font une apparition (de Brejnev à Nasser en passant par Marilyn et Kennedy). Suivent ensuite de longs plans-séquences (toujours !) dans un cimetière de voitures où des Noirs scandent des textes révolutionnaires du « Black power », dans une forêt où Eve Democraty (Anne Wiazemsky) répond à une interview ou encore dans une librairie érotique où Godard détaille les rayonnages (séquence très « pop art ») pendant qu’un type lit Mein Kampf.  

Lorsque Godard montre ces « black panthers » exécutant de jeunes femmes blanches au milieu des carcasses empilées de vieilles bagnoles, on songe à son génialissime Week-end et à sa vision apocalyptique du devenir des sociétés capitalistes. Sauf que de ce film, le cinéaste ne conserve que les longs « tunnels » militants qui s’avèrent ici assez emmerdants. Godard convoque Eldrige Cleaver et Malcom X et se contente d’accumuler les slogans, à l’image d’Eve Democraty s’échinant à peinturlurer les murs et les voitures de formules « chocs » (« Cinémarx », « Freudemocraty », « US= croix gammée »)

 

 

Politiquement, le film est assez tartignolle dans la mesure où l’on peut dire de Godard ce que Nabe disait d’Eisenstein : qu’il a été plus révolutionnaire cinématographiquement que politiquement. Ceci dit, tout n’est pas à jeter car Godard a toujours eu ce génie du paradoxe et cette manière de n’écouter que ses propres lubies qui l’ont toujours fait détester à la fois des staliniens orthodoxes du PCF et des ridicules « Mao spontex » (tout comme les grenouilles de bénitiers s’effaroucheront plus tard de son film le plus absolument chrétien : Je vous salue Marie).

 

Dans One + one, derrière les formules toutes faites et certaines idioties carabinées (les prouesses sexuelles du prolétariat jugées supérieures par Eve Democraty), on peut deviner le combat intérieur d’un homme déchiré entre le « je » de l’artiste et de l’intellectuel et le « nous » du militant. Déjà Godard oppose l’Art (expression d’un individu unique mais accessible à tous) à la culture (émanation de la pensée bourgeoise) et dit de l’artiste qu’il est aussi éloigné de l’homme de culture que l’historien l’est de l’homme d’action.  Mais comment mettre son art au service des luttes en conservant son intégrité d’artiste ? C’est à cette question que Godard tentera de répondre pendant ses années « militantes ». Et c’est cette question qui rend intéressant et touchant One + one…

Retour à l'accueil