Il a du bobo, Léon...
L’amour c’est gai, l’amour c’est triste (1969) de Jean-Daniel Pollet avec Claude Melki, Bernadette Lafont, Chantal Goya, Jean-Pierre Marielle
Contemporain de la Nouvelle Vague, Jean-Daniel Pollet occupe une place singulière au sein de l’histoire du cinéma français et c’est peu dire qu’il reste un cinéaste trop ignoré même si depuis sa mort certains s’échinent à faire reconnaître son œuvre. Un coup de chapeau, donc, à la chaîne Cinécinéma Classic pour nous avoir permis de découvrir cette comédie loufoque intitulée l’amour c’est gai, l’amour c’est triste.
La chose la plus difficile à faire, lorsqu’on évoque Pollet, c’est de trouver un fil directeur dans son œuvre ou, du moins, des éléments permettant de le classer dans telle ou telle catégorie. Or Pollet est inclassable. Qu’ont en commun une comédie poétique comme l’acrobate, un essai confectionné avec l’infâme Sollers (Méditerranée) ou cette « adaptation » de Francis Ponge à l’écran (Dieu sait quoi) qu’il tourna sur la fin de sa vie sans le moindre acteur ? Les exégètes seront sans doute à même de jeter des ponts entre ces îlots éclectiques mais j’en suis bien incapable, n’ayant vu que trois films de ce cinéaste.
J’aborderai donc ce film sous l’angle de la singularité, de cette manière qu’à Pollet de s’inscrire dans un genre précis (la comédie) tout en estompant ses limites et en modifiant ses contours.
Dans l’amour c’est gai, l’amour c’est triste, nous ne quitterons pratiquement jamais l’atelier du tailleur Léon (Claude Melki). Celui-ci vit seul avec sa sœur Marie (la gouailleuse Bernadette Lafont, aussi radieuse que dans la fiancée du pirate qui date de la même époque) et reste le dernier persuadé qu’elle pratique la voyance alors que la belle se prostitue sous la houlette de Maxime (le tonitruant Marielle, toujours aussi savoureux). Un jour débarque à l’atelier la belle Arlette (la juvénile Chantal Goya qui, après Godard, prouve qu’elle a bien choisi ses films et qu’elle aurait sans doute du se cantonner au cinéma !) dont Léon s’entiche sans pour autant oser déclarer sa flamme.
Ca été beaucoup dit et je me contente de le répéter (pourquoi nier les choses évidentes ?), le film navigue entre le cinéma de la Nouvelle Vague (nouveaux corps, nouvelles manières d’aborder le sentiment amoureux…) et le cinéma populiste des années 30 (description d’un microcosme populaire, gouaille et chaleur humaine…). D’une certaine manière, le film est plus léger (au bon sens du terme) que véritablement drôle (on sourit plus qu’on ne rit). Pollet a recours à certains gags (le robinet qui ne fonctionne que lorsqu’on tape sur le mur à côté) mais privilégie plutôt le côté décalé de son héros lunaire. Car il est désormais plus que temps de faire l’éloge de Claude Melki, l’acteur fétiche du cinéaste, et de sa bonne gueule de métèque tombé d’une autre planète. Avec sa figure de Buster Keaton et son air ahuri, le comédien est absolument extraordinaire et transmet un nombre incalculable d’émotions par un simple froncement de sourcil ou un haussement d’épaule.
Rares sont les fois où le cinéma nous permet de partager le quotidien d’un personnage de ce type. Léon est un timide qui n’ose avouer ses sentiments à Arlette. Dans son attitude peuvent se lire tous les espoirs qu’apporte l’amour (la complicité, l’affection partagée…) et ses désillusions (la cruauté inconsciente d’Arlette qui décide, elle aussi, de se prostituer pour mettre du beurre dans les épinards ; les séparations que la timidité empêche de prévenir…). Avec une finesse extrême (le film n’est pas « psychologique » pour un sou), Pollet parvient à décliner la double proposition qu’il annonce en titre (la gaieté et la tristesse) pour évoquer les aléas du sentiment amoureux.
Il le fait par le biais d’un personnage totalement singulier (son regard final est extraordinaire) et par la grâce d’un ton qui oscille entre le comique, le poétique et le mélancolique.
Le résultat est plus qu’attachant…