Oh brothers ! Sur la piste des frères Coen (2013) de Marc Cerisuelo et Claire Debru (Editions Capricci. 2013)

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Avant d’entrer dans le vif du sujet, une petite réflexion d’ordre très général. Mes fidèles lecteurs n’ignorent sans doute pas que je ne fais pas partie des thuriféraires acharnés de Michel Ciment (en existe-t-il vraiment ?) mais l’auguste pape de la critique faisait assez justement remarquer il y a peu la disparition progressive des bibliographies dans les ouvrages consacrés au cinéma. L’absence de toute bibliographie est dommageable ne serait-ce que pour présumer de la qualité du travail présenté (quelles sources ont été utilisées ? Quelle fiabilité de l’information ?) mais également pour orienter le lecteur vers d’autres pistes de lecture et lui permettre de découvrir d’autres documents (articles de revue, entretiens, etc.), d’aiguiser sa curiosité…

Sauf erreur, il n’existe pas beaucoup d’ouvrages synthétiques publiés sur l’œuvre des frères Coen. Cette louable initiative est donc à saluer mais on aurait aimé qu’elle s’accompagne d’une plus grande rigueur quant à cet aspect précis.

 

Le livre de Marc Cerisuelo et Claire Debru se présente comme une analyse chronologique des seize films des frères Coen. Ce parcours, film par film, présente à mon sens un défaut : les auteurs peinent à tracer une ligne directrice et à faire émerger une véritable cohérence de l’œuvre singulière de ces deux cinéastes. Certes, ils soulignent justement leurs motifs récurrents, leur goût pour certains genres, leurs références mais l’absence d’une vision plus globale amène parfois des redites ou certains oublis. Par exemple, il est assez frappant que les auteurs annoncent qu’ils reviendront précisément sur le prologue d’A serious man (le conte Yiddish) alors qu’ils l’omettent lorsqu’ils abordent l’analyse à proprement parler du film.

De la même manière, ils annoncent au départ vouloir définir une certaine vision de l’Amérique propre aux frères Coen à travers leurs films. S’ils font bien ressortir à propos de chaque film certains traits typiquement américains, on a un peu le sentiment qu’ils perdent en cours de route cette « piste » et cette vision plus « globale ».

 

Ces menues réserves n’empêchent pas Oh brothers ! Sur la piste des frères Coen d’être un ouvrage passionnant. Tout d’abord, parce qu’il nous permet de nous replonger dans une œuvre d’une rare richesse et qu’on a réduit un peu trop vite à un simple objet de culte (avec des films comme Sang pour Sang ou The big Lebowski qui s’y prêtent parfaitement) ou même rejetée par une frange de la critique qui la juge surestimée. Cerisuelo et Debru ont la bonne idée de bousculer les hiérarchies, de souligner que le premier essai Blood simple a un peu vieilli (je confirme !) tout en réhabilitant des films mal-aimés (Intolérable cruauté, The Ladykillers).

D’autre part, les analyses proposées pour chaque film sont denses, fouillées et particulièrement pertinentes. La manière dont les auteurs resituent chaque film dans un contexte précis et un écheveau complexe de références, de repères culturels, autobiographiques et géographiques est tout à fait remarquable. Rarement on aura aussi bien mis en lumière les liens que les frères Coen entretiennent avec la littérature noire (Hammett, Chandler, Cain…) et une certaine tradition  musicale américaine (la folk, le gospel…)

Le dialogue que les cinéastes établissent constamment avec l’histoire du cinéma hollywoodien (Wilder, Hawks et surtout Preston Sturges, leur maître incontesté dont Cerisuelo est également un spécialiste) est fort bien mis en valeur. Du coup, l’ouvrage permet de rompre avec une certaine lecture « formaliste » du cinéma des frères Coen (leur « maniérisme », leur « post-modernisme »…) pour proposer une approche plus classique de ce cinéma naviguant sans arrêt entre commandes et inscription dans les grands genres hollywoodiens (la comédie féroce avec Le grand saut ou Intolérable cruauté, le western avec le très beau True Grit) et des projets plus personnels comme vient de le prouver le magnifique Inside Llewyn Davis.

 

Encore une fois, c’est sans doute la plus grande réussite de ce livre : faire redécouvrir une œuvre que l’on a parfois réduite à ses « tics » ou traits formels les plus visibles pour en faire émerger la partie la plus secrète et rendre justice à l’immense richesse de cette filmographie protéiforme…

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