L’oiseau au plumage de cristal (1970) de Dario Argento avec Tony Musante, Suzy Kendall

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Relecture à la sauce « giallo » du bon vieux thriller hitchcockien, le premier long-métrage de Dario Argento s’affirme d’emblée comme un coup de maître. Avec L’oiseau au plumage de cristal, le cinéaste se souvient de la leçon de Mario Bava (l’excellent Six femmes pour l’assassin) et annonce les grands films noirs maniéristes d’un De Palma (Pulsions, Body double…) en concoctant un savant mélange d’intrigue policière (pas toujours crédible et parfois un peu bâclée, à l’image de cet épilogue expédié presque en même temps que le générique de fin), de jeux formels (Argento imposant immédiatement un style tranchant comme les rasoirs qu’utilise son tueur et un grand sens plastique) et de réflexion sur l’image et ses leurres.

 

Après avoir été témoin d’une tentative de meurtre dans une galerie d’art, un journaliste américain décide, d’abord contraint puis de son plein gré, de mener l’enquête qui le conduira à démasquer un dangereux tueur en série sévissant depuis quelques temps dans la ville.

 

Si l’intrigue n’est pas d’une folle originalité, Dario Argento dynamite vite les canons du genre pour imposer un style flamboyant. Il procède de deux manières. Il applique dans un premier temps les recettes du « giallo », ce genre typiquement italien qui donna, à partir des années 60, un salutaire coup de fouet au polar transalpin. Tous les ingrédients sont présents dans L’oiseau au plumage de cristal : un tueur sadique et névrosé qui affiche une prédilection pour les armes blanches (il tue essentiellement avec un couteau ou au rasoir), une exacerbation de la violence et de l’érotisme qui reste encore ici assez raisonnable (à peine une poitrine partiellement dévoilée et quelques jets de sang sur des décors – murs, moquettes- blancs).

Mais ce qui distinguent Bava et Argento des nombreux tâcherons qui oeuvrèrent également dans le domaine du « giallo » (j’ai un très mauvais souvenir de l’assommant Bloody bird de Michele Soavi), c’est une volonté permanente de fondre ces divers éléments dans une véritable œuvre d’art. Pour le dire de manière un peu moins généraliste, chaque meurtre, chaque trace de sang versée finissent par apparaître comme de véritables motifs plastiques dans une composition générale. Comme Bava, Argento s’affirmera comme un grand « coloriste » (qu’on songe à Suspiria ou Inferno) même s’il joue ici la carte d’une grande froideur, avec le blanc comme valeur dominante (les traînées rouges qui maculent ce blanc sont d’autant plus frappantes !).

Outre la couleur, le cinéaste joue également beaucoup sur les angles de prises de vue et les cadrages insolites. Il faut citer cette incroyable et vertigineuse plongée sur un escalier qui se transforme en un motif triangulaire quasiment abstrait tandis qu’un contre-champ brutal en contre-plongée (presque) verticale nous montre l’une des victimes du tueur en train de monter cet escalier avant l’attaque. On pourrait citer toutes les scènes où intervient cet assassin tant elles sont des modèles de découpage et parviennent à faire monter l’angoisse (l’idée assez neuve à l’époque d’épouser le point de vue du tueur dont on ne voit que les gants de cuir est payante et des gens comme Carpenter dans Halloween sauront s’en souvenir).

 

Comme chez De Palma (dont il est un peu le cousin transalpin), Argento propose également une véritable réflexion sur l’image. La séquence où Delmas assiste à la tentative de meurtre est extraordinaire puisqu’il la voit coincé entre deux portes automatiques transparentes préalablement bloquées. Il se trouve exactement à notre place (où celle de James Stewart dans Fenêtre sur cour ou du voyeur de Body double) : derrière un écran, impuissant à intervenir sur des évènements qu’il se contente de regarder (c’est d’ailleurs assez amusant de voir que l’acteur ne joue pas la scène sur le registre de l’affolement mais avec parfois un détachement blasé).

Cette scène primitive, elle ne va dès lors pas cesser de hanter le héros et le spectateur aura l’occasion de la revoir plusieurs fois sous forme de flashes très rapides. Tout se passe comme si une simple image (nous sommes alors plus du côté de Blow up, autre film « matriciel » pour De Palma également) ne pouvait livrer ses secrets du premier coup et qu’il fallait absolument la décortiquer, l’analyser pour enfin en tirer une vérité cachée.

Si le cinéma d’Argento est « maniériste », c’est qu’il se construit non pas sur du « réel » mais sur des images préexistantes (voir aussi le rôle prédominant d’un étrange tableau dans l’intrigue, tellement peu crédible d’un point de vue « psychologique » qu’on devine qu’il n’est là que pour prolonger cette réflexion sur le pouvoir mensonger de l’image). D’où encore ce déploiement formel qui vise à bâtir de nouvelles images sur ces images originelles.

A partir d’une intrigue policière somme toute banale, Argento parvient à réaliser un film à la fois captivant et angoissant tout en amenant habilement une vraie réflexion sur le genre et sur le cinéma.

Quand je vous disais que L’oiseau au plumage de cristal était déjà un coup de maître !

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