Alps (2011) de Yorgos Lanthimos avec Aggeliki Papoulia, Ariane Labed. (Editions La vie est belle) Sortie le 1er juillet 2014

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Je n’avais vu aucun film du cinéaste grec Yorgos Lanthimos qui s’est taillé une petite réputation en France avec son précédent long-métrage Canine. J’ignore ce que vaut ce titre mais en découvrant Alps, j’ai tout de suite catalogué ce cinéaste dans la catégorie d’un certain cinéma d’auteur autiste pétri de fausse radicalité.

Je débuterai ma démonstration par un plan qui revient deux fois dans le film. L’actrice est filmée de dos, avance vers une porte et la caméra la suit par derrière. A chaque fois, le plan débute sur cette nuque mais ni l’actrice, ni la caméra ne sont en mouvement. On pense alors à ces « ateliers cinéma » scolaires où le réalisateur précise bien de compter jusqu’à trois avant de débuter l’action et où une petite erreur de montage donne l’impression que le plan débute trop tôt.

On me dira que c’est voulu par Lanthinos (sans doute !) puisque son film ne parle que d’image et de représentation. Mais j’y vois surtout un film incapable de faire exister quelque chose en dehors des plans qu’il montre et qui s’asphyxie immédiatement dans son petit « théâtre » décalé. Il n’y a pas de hors-champ, pas de monde extérieur, pas de vie pour précéder ou suivre le plan. Il n’y finalement rien entre le clap de départ et le clap de fin.

Mais revenons à l’argument de l’œuvre. Alps, c’est le nom que s’est donnée une troupe de « comédiens » un peu particulier : ils interviennent dans la « vraie vie » pour jouer le rôle d’individus disparus. Pour prendre un exemple, l’infirmière de la troupe incarnera une adolescente morte dans un accident ou la maîtresse d’un homme parlant anglais (qui, de son côté, est lui aussi un comédien !). Idée saugrenue qui aurait pu être intéressante sur la question du rôle et de la représentation « sociale » de chacun (à ce titre, la comédie de Jean Boyer Sénéchal le magnifique était beaucoup plus réussie et plus amusante !) mais gâchée par un système formel ostentatoire et totalement verrouillé (une certaine tendance du cinéma d’auteur contemporain allant de Mungiu à Haneke en passant par La soledad de Rosales).

Du coup, je dois reconnaître humblement que ce film hiératique et sinistre où un père recommande à sa fille de substitution de se « ronger les ongles » m’est passé totalement au-dessus de la tête ! De la même manière, je n’aime pas cette façon qu’ont ces films de jouer sur des scènes « à l’estomac ». Haneke est spécialiste du genre mais là, on aura le droit à une scène insoutenable où le « maître » du groupe Alps (à savoir, « Mont blanc ») file un grand coup de massue à l’infirmière après l’avoir fait patienter un bon moment.

Sans être aussi violent, tout est à l’avenant : saynètes qui n’existent que le temps du plan (pas de hors-champ dans Alps, je le redis), personnages qui n’ont aucune consistance et qui n’existent que comme « image ». On va me dire que c’est justement le propos du film (la plupart se définissent d’ailleurs par rapport à un « acteur préféré ») mais il aurait fallu qu’on sente un univers tangible et « réel » autour pour que ce petit théâtre morbide puisse avoir une chance d’exister. Là, tout relève de l’artifice et le dispositif semble permettre n’importe quoi (ce fou-rire qui interrompt un plan sans qu’on sache si c’est vraiment celui des acteurs ou celui des personnages jouant des acteurs…).

Vous l’aurez compris, je suis resté totalement hermétique à ce film. Mais j’ai peut-être tort. Dans un des suppléments du film, Jérôme Momcilovic compare Alps à Holy motors de Carax et même à Opening night de Cassavetes ! Si j’avais trouvé ne serait-ce qu’un tout petit peu de ces deux films chez Lanthimos, j’aurais adhéré sans problème. Et même si certains ont fait le reproche (à mon avis erroné) à Carax, je dirais plutôt qu’Alps est un film poseur et desséché.  

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