Zodiac (2007) de David Fincher avec Jake Gyllenhaal, Mark Ruffalo, Robert Downey Jr, Chloé Sevigny

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Et Fincher devint un grand cinéaste...

Alors qu'il a commencé sa carrière en empruntant la voie d'un cinéma plutôt clinquant et tapageur (Fight club et The game), Fincher parvient avec Zodiac à éviter l’esbroufe dont il était coutumier et à mettre la pédale douce sur les filtres colorés (l'image verdâtre et pisseuse de Seven). Même si ce n'était pas la première fois qu'ils travaillaient ensemble, on sent ici la patte du grand chef opérateur Harris Savides qui parvient à la fois à retrouver les teintes colorées des années 70 (le tueur commence a frapper à la fin des années 60) tout en maintenant une certaine sobriété globale qui convient parfaitement au projet.

Avant The social network, Fincher tente déjà avec Zodiac de dresser un tableau « total » d'une certaine Amérique à travers le petit bout de la lorgnette (la création d'un « réseau social », un fait divers autour d'un tueur en série). Il s'agit de se plonger dans un enquête au long cours (le film débute en 1969 et se termine de nos jours) et d'essayer d'en saisir tous les liens enchevêtrés (le cinéma de Fincher est désormais « proliférant » et la narration se déploie sous forme de « réseaux ») en suivant trois personnages principaux : un dessinateur de presse amateur d'énigmes et de casse-têtes chinois (Gyllenhaal, très bon), un journaliste qui sombrera dans l'alcoolisme (Downey Jr) et un flic entêté (Ruffalo).

 

Disons le d'abord en toute simplicité : Zodiac est un thriller captivant et superbement mis en scène. Fincher alterne des séquences de terreur pure aussi brillantes qu'éprouvantes et l'enquête à proprement parler. Au lieu de jouer sur la violence des effets, il préfère suggérer et, surtout, faire monter l'angoisse en travaillant les durées, le jeu avec l'espace (cet extraordinaire moment où le couple auprès du lac aperçoit au loin, et presque avant le spectateur, l'ombre du tueur), le cadre. La séquence de la jeune femme qu'il arrête sur une route isolée est à la fois effrayante et très brillamment réalisée.

Parallèlement, l'enquête est incroyablement complexe, pleine de chausse-trappes et de fausses pistes et permet à Fincher de multiplier les rebondissements et de jouer la carte d'une ambiguïté de rigueur puisqu'à ce jour, le mystère de ce tueur « médiatique » n'a toujours pas été percé (les tests ADN n'ont pas confirmé la culpabilité du principal suspect).

 

Au-delà de cette enquête et de la personnalité hors du commun du tueur (qui s'amuse visiblement avec les journalistes et qui semble n'exister qu'à travers la tribune que lui offrent les médias en amplifiant ses actes d'une manière considérable. Une sorte de précurseur, en plus habile, de Magnotta en quelque sorte) ; ce qui fascine dans le film de Fincher, c'est la manière dont cette affaire (relevant, en premier lieu, du simple fait divers) finit par obséder les personnages qui enquêtent dessus mais également tout un pays en pleine crise d'identité après les révoltes de la fin des années 60 et le scandale du Watergate. Il y a d'ailleurs un moment très étonnant dans un film très « grand public » où Fincher fait passer le temps en se contentant d'un très long écran noir agrémenté de voix-off commentant le déroulement de l'actualité (la déchéance de Nixon, etc.). Il s'agit pour Fincher d'englober tous les tenants et les aboutissants de cette enquête pour cerner à travers son irrésolution une sorte de grande vide menaçant une nation entière.

 

La grande affaire de Zodiac, c'est aussi celle de la mise en scène. Avec ses énigmes, ses cryptogrammes, son symbole proche de la croix celtique et ses communiqués aux médias, le tueur est un véritable « metteur en scène » qui semble par ailleurs se nourrir de choses existant préalablement (le film cite Les chasses du comte Zaroff). Et comme nous sommes déjà, au début des années 70, dans une société du « tout médias », le tueur devient lui-même un personnage de fiction ( dans le mythique Dirty Harry de Don Siegel). Pour Fincher, la question devient celle du récit : que raconter après les grands fictions et la mise en question des genres par le maniérisme ?

Plutôt que d'opter pour le « vide » contemporain et le recyclage de formes existantes, il se lance à la fois dans une fiction (documentée mais fiction quand même) « globalisante », qui croit à la puissance du cinéma pour poser un regard sur tous les aspects d'une histoire (il fera de même avec la création de Facebook ou les crimes rituels de Millénium). Mais face à l'indicible, aux brumes de cette affaire jamais résolue, les personnages se retrouvent en situation d'échec comme le héros de Social Network demandant à la fin du film comme « amie » son ex dont le départ a provoqué la « fiction ». Il y a à la fois un côté Mankiewicz chez Fincher (saisir tous les enjeux d'une affaire à travers divers personnages comme dans All about Eve) mais également un côté Huston puisqu'à la fin, le destin semble plus fort que les personnages.

 

Il y aurait sans doute beaucoup à dire de ce thriller aussi efficace que profond mais nous nous arrêterons là. C'est en tout cas avec ce film que Fincher a enfin quitté le clan des faiseurs habiles mais tapageurs pour accéder au rang des cinéastes que l'on a envie de suivre...

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