Un an après (2015) d'Anne Wiazemsky. (Éditions Gallimard. Collection Blanche 2015)

Le mai 68 d'Anne et Jean-Luc

Troisième volume des souvenirs « cinématographiques » d'Anne Wiazemsky que nous avions laissée au moment de la première de La chinoise à Avignon. Quelques mois plus tard, la jeune femme a enchaîné les tournages (elle a joué dans Les gauloises bleues de Cournot, Théorème de Pasolini et elle est en train de tourner La bande à Bonnot de Fourastié) et elle se trouve prise avec son mari (Jean-Luc Godard) dans l'ouragan de mai 68.

On pourra sans doute ergoter longuement sur le style très simple (pas très littéraire?) d'Anne Wiazemsky mais je persiste à affirmer que ce qu'elle raconte est passionnant. Certes, on peut juger le livre assez anecdotique mais dans la mesure où l'auteur a côtoyé de nombreuses personnalités, elle finit par endosser le rôle privilégié d'un témoin de toute une époque.

Nous voilà d'abord plongés dans l'affaire Langlois et les manifestations qui ont suivi l'éviction du patron de la Cinémathèque par le ministère. Ces prémices aux événements de mai sont vécus « de l'intérieur » avec un mélange d'exaltation et d'effroi qui caractérisera toujours la comédienne issue de la haute bourgeoisie.

Si Mai 68 constitue évidemment la partie la plus importante de ce roman, l'auteur ne néglige pourtant pas la dimension intime de son récit et évoque les difficultés de création de Jean-Luc Godard. Dans un premier temps, le cinéaste doit réaliser un film avec les Beatles qui ne se fera pas mais qui nous vaut une scène très drôle, à la Lewis Carroll, où Paul McCartney et Anne Wiazemsky échappent à de longues discussions en prenant un thé... sous une table ! Puis il y aura le tournage à Londres de One + One avec les Rolling Stones et les projets avortés avec Leacock et Pennebaker.

Et il y aura surtout un Godard s'entourant de plus en plus de jeunes gauchistes (sous les traits de « Jean-Jock » et « Charles », on reconnaît Roger et Gorin avec qui le cinéaste fondera le groupe Dziga Vertov), désireux de faire oublier son nom et de se fondre dans un collectif quitte à se fâcher avec tous ses amis.

Une des dimensions les plus intéressantes du livre est cet éclairage qu'il apporte sur le séisme provoqué par mai 68 sur Godard. D'un point de vue cinéphile et extérieur, on aurait pu penser que cet épisode insurrectionnel avait été pour le cinéaste une sorte d'aboutissement puisqu'il n'avait cessé, jusqu'à présent, d'en filmer les signes annonciateurs (La chinoise, Week-end...). Or c'est l'inverse qui se produit et Wiazemsky peint Godard comme un être totalement dépassé et déboussolé par les événements, à la fois désireux d'en découdre avec le « vieux monde » et ne sachant plus quel chemin emprunter.

Mais c'est surtout avec son image qu'il veut en finir : celle de l'oracle adulé lorsqu'il fait la tournée des campus américains ou celle du « traître » qui se fait parfois insulter lors de manifestations. Quelque chose de terrible se joue chez lui à cette époque qui entraînera sa brouille définitive avec Truffaut (nous assistons à une violente dispute) et qui brisera son couple.

Sa radicalisation politique le rend agressif, violent et provocateur à tel point qu'il manque de se brouiller avec Bertolucci (qui a engagé Anne pour jouer dans Le conformiste), avec Michèle Rosier et Cournot.

Le récit s'achève au moment de la fameuse tentative de suicide de Godard en mai 69. L'auteur prévient qu'il y aura un avant et un après ce week-end et qu'elle ne souhaite pas raconter cet « après ». Sans doute parce que l'intime l'emporte alors sur la dimension « témoignage » que purent avoir ses trois romans. Toujours est-il qu'on aurait aimé en savoir plus sur ce qui ne fonctionnera pas avec Bertolucci puisque le rôle qu'elle devait tenir échouera finalement à Dominique Sanda et sur les tournages que la comédienne entamait alors avec Pasolini (Porcherie) et Ferreri (Il seme dell'Uomo)

Y aura-t-il néanmoins une « suite » à ces souvenirs cinématographiques ? Rien en le dit mais on ne peut pas s'empêcher de l'espérer, ne serait-ce pour qu'ils ne s'achèvent pas sur une note trop amère...

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