En "mode avion"

Comme un avion (2015) de et avec Bruno Podalydès et Agnès Jaoui, Sandrine Kiberlain, Vimela Pons, Denis Podalydès, Michel Vuillermoz, Pierre Arditi

 

En "mode avion"

Se mettre en « mode avion » pour Michel, c'est s'assurer que sa femme ne pourra plus « géolocaliser » les photos qu'il lui envoie et pouvoir s'affranchir un peu plus d'un quotidien qu'il a décidé de fuir. Comme un avion pourrait être un classique film de « remise en question » : Michel est infographiste, quinquagénaire, installé dans une vie tranquille mais sans saveur. Aucune raison objective de se plaindre (ses amis sont bienveillants, sa femme -plaisir de retrouver Sandrine Kiberlain- agréable et plutôt attentionnée) et pourtant, il semble que quelque chose lui manque.

Il ne s'agit pas de tout jeter par-dessus le bord (schéma classique) mais de prendre quelques vacances pour réaliser un rêve d'enfance. Sauf que ledit rêve, c'est l'aéropostale et qu'il est sans doute un peu trop compliqué à atteindre. Du coup, Michel va le transformer en une excursion en kayak.

Encore une fois, on a beaucoup vu ce type de film : la crise existentielle de l'homme vieillissant, le retour à la nature et aux « vraies valeurs », le voyage comme antidote à la monotonie du quotidien... Mais Comme un avion ne se situe pas vraiment dans cette veine : Michel ne vit pas une véritable « crise » même si l'on sent que les années qui passent commencent à lui peser, le voyage qu'il va entreprendre est une sorte de « voyage immobile » puisqu'il n'effectuera que quelques kilomètres. Enfin, il n'y a aucun discours lénifiant dans le film sur une nature idéalisée par opposition à la civilisation qui rendrait fou.

Avec beaucoup de finesse, le film interroge cette manière que les individus ont de renoncer ou pas à leurs rêves et désirs avec l'âge. Du coup, c'est moins l'opposition entre un monde factice (le ridicule de ces « créatifs » qui cherchent sur leurs smartphones la définition de « palindrome ») et l'authenticité retrouvée au contact de la nature qui est visée qu'un éloge libertaire du « pas de côté ». Que Michel écoute du Bach n'est pas un hasard dans un film où l'on aime jouer avec les mots et les glissements sémantiques : son escapade est une véritable célébration de l'art de la fugue. Il ne s'agit pas de tout révolutionner mais d'estimer qu'à 50 ans, on peut encore aimer se dandiner sans avoir l'air ridicule et qu'il y a une certaine grandeur à rester fidèle à ses désirs d'enfant.

 

D'une certaine manière, Comme un avion est l'antidote idéal à la flopée de films « sociaux » qui envahissent les écrans. Car il ne s'agit en aucun cas de nier la crise et les problèmes de l'époque (même si Michel et son épouse sont d'un milieu plutôt privilégié) mais de s'en extraire par l'humour, la légèreté et une attention toute particulière à des personnages et non à des types sociaux. Une scène illustre parfaitement cette idée. Par un concours de circonstances et un mauvais sens de l'orientation, Michel finit avec son kayak aux abords d'un parking de supermarché. Il plante sa tente à cet endroit et se fait réveiller en pleine nuit par un vigile qui lui commande de partir et d'aller passer la nuit dans un foyer. Sans s’appesantir, Podalydès nous dit quelque chose sur la misère sociale, la surveillance généralisée, l'horreur de ces zones industrielles surveillées par des esclaves modernes... Et puis soudain, quand le vigile réalise que Michel n'est pas un vagabond mais un « aventurier », il se met à parler et à confier son goût pour la navigation. L'ennemi (le vigile) devient un vrai personnage avec des rêves, des désirs et non plus un simple uniforme.

Tout le film est à cet image : aux chemins tout tracés il préfère le vagabondage poétique, la dérive bienveillante. Lorsque Michel décide pour la première fois de quitter la buvette où il a échoué, il fait la bise à tout le monde : la patronne, les clients, les enfants... Ce petit détail, prétexte à un petit gag amusant, est plus qu'anecdotique : il prouve un vrai désir de cinéaste de n'oublier personne. Alors que tant de cinéastes « réalistes » affectionnent le typage sociologique étriqué, le regard de Podalydès est constamment généreux et accueillant pour ses personnages. Il y a du Renoir chez lui, dans cette manière de donner de l'importance à tous et dans cette attention à l'élément naturel. La photographie est signée Claire Mathon qui était déjà la chef-opératrice de Guiraudie sur L'inconnu du lac. On retrouve dans Comme un avion cette sensibilité si particulière à la lumière, à la beauté et la sensualité des éléments naturels. Comme dans Voilà, un de ses premiers courts-métrage, le cinéaste confronte de manière drolatique et discrètement élégiaque un personnage à un environnement naturel qu'il n'idéalise pas.

 

De la même façon, les aventures sentimentales que va vivre Michel sont placées sous le signe de la nonchalance et de la bienveillance. Il est d'abord séduit par la jolie Mila (la formidable Vimala Pons) puis par Laetitia, la patronne de la buvette. Là encore, ce personnage incarné par Agnès Jaoui est particulièrement représentatif de la « méthode Podalydès ». Au départ, il paraît un peu ingrat (on se dit même qu'Agnès Jaoui a pris un petit coup de vieux) et le cinéaste va pourtant lui offrir la scène la plus sensuelle, la plus érotique et la plus tendre qu'on ait vu sur un écran depuis très longtemps. Cette scène des « post-it » rappelle que l'érotisme est avant tout une question de jeu et de mise en scène. Toutes les aventures sentimentales de Michel (qu'elles se concluent ou non) sont placées sous ce signe du jeu et de l'enfance, à l'image de cette formidable « nuit planche » qu'il passera avec Mila (je n'en dis pas plus). D'ailleurs, lorsqu'il est recueilli par la jeune femme, on remarque dans son bric-à-brac la petite fusée d'Objectif lune, nouvelle réminiscence de ses rêves enfantins auxquels le héros ne veut en aucun cas renoncer.

 

Comme un avion est une bouffée d'air frais dans le paysage du cinéma français : une comédie qui fait rire sans avoir recours aux grosses ficelles du boulevard et qui n'élude pas non plus les questions de mise en scène. Un film qui parvient à être en phase avec le monde contemporain tout en parvenant à se « déconnecter » (ce fameux « mode avion ») pour le regarder d'un œil détaché et amusé. Un récit à la fois très bien écrit mais qui sait aussi emprunter des chemins de traverses sinueux et qui se laisse parfois gagner par l'onirisme. Et avant toute chose, ce film aventureux est un état d'esprit, un bel éloge libertaire de l'indolence et de la primauté des désirs sur les contraintes sociales.

Et c'est ainsi que Podalydès est grand...

 

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