Eddie pour les dames

Cartes sur table (1966) de Jess Franco avec Eddie Constantine, Françoise Brion, Sophie Hardy, Fernando Rey

 

 

Eddie pour les dames

Le triomphe mondial en 1962 de James Bond contre docteur No va donner une nouvelle impulsion au cinéma d'espionnage européen, que ce soit en France (avec l'apparition de OSS 117), en Italie, en Espagne, en Angleterre ou en Allemagne. Cette dans cette tradition fantaisiste que s'inscrit Jess Franco lorsqu'il réalise Cartes sur table en 1966. Mais en faisant appel à l'insubmersible Eddie Constantine, il convoque également le fantôme d'un autre agent du FBI : Lemmy Caution que l'acteur a fait revivre au cinéma dès 1952 dans La môme vert-de-gris de Borderie.

Le film n'aurait pu être qu'un nouveau véhicule pour le séduisant comédien, amateur de whisky et de belles blondes, agent d'Interpol à la retraite engagé pour mettre en échec une organisation criminelle s'attaquant aux grandes figures du monde (ambassadeurs, ministres, cardinaux...). Les terroristes possèdent également plusieurs points communs : ils portent des lunettes rondes, leur peau blanchit après la mort et ils appartiennent tous au groupe sanguin très rare, le « rhésus 0 ».

Mais Franco, tout en prouvant qu'il peut parfaitement se couler dans le moule d'un cinéma de genre assez conventionnel, parvient à être plus malin et à réaliser un excellent film même si ce n'est sans doute pas son œuvre la plus personnelle.

Comme pour Miss Muerte, il fait appel ici à Jean-Claude Carrière pour l’adaptation de son scénario et pour les dialogues. Du coup, le film est souvent très amusant, parsemé de répliques malicieuses (« -Laissez-moi prendre une douche sinon je ne pourrai pas dormir. -J'ai un bouquin de Marguerite Duras : vous allez dormir merveilleusement ») et de situations totalement absurdes. Lorsque Eddie Constantine arrive dans sa chambre d'hôtel juchée de cadavres et que ceux-ci disparaissent lorsqu'il vient faire constater les dégâts, nous sommes presque dans un épisode de la Panthère rose signé Blake Edwards ! Même si Carrière n'est sans doute pas le seul responsable de cet aspect, sa présence renforce le côté surréaliste d'une œuvre qui ne se prend jamais au sérieux.

Si certains traits d'humour ont pris un gros coup de vieux (notre agent qui demande à un chinois s'il n'a pas des problèmes de foie et s'il n'aurait pas attrapé une jaunisse, c'est devenu très moyen!), d'autres répliques fonctionnent très bien.

De la même manière, Franco joue davantage la carte du pastiche lorsqu'il s'agit de faire allusion à James Bond : les gadgets sont improbables et ne fonctionneront globalement jamais. En revanche, il laisse parler son inclinaison pour le fantastique (les terroristes sont des espèces de robots à la solde d'une organisation criminelle où trône la magnifique Françoise Brion) et le temps de deux scènes sensuelles dans un night-club, on devine sa prédilection pour les jolies femmes qui se déhanchent sur des musiques jazzy et envoûtantes.

Œuvre mineure mais fort sympathique, réalisée avec beaucoup de talent (les champs/contrechamps sont souvent dynamisés par des contre-plongées, la lumière est travaillée...) et d'humour ; Cartes sur table est une jolie réussite, assez atypique dans la filmographie obsessionnelle et fascinante de Jess Franco...

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