Dragon Inn (1967) de King Hu avec Shih-Shun, Ling-Feng. Sortie en version restaurée le 12 août 2015. Éditions Carlotta.

L'auberge du dragon

Avant d'évoquer le film, quelques mots sur la restauration de Dragon Inn. Autant j'ai trouvé superbe la restauration 4K d' A touch of Zen, autant celle de ce film m'a un peu gêné. J'ignore si cette impression provient du téléviseur sur lequel j'ai regardé le film mais j'ai eu la sensation qu'il avait été moins restauré que ripoliné, gommant tout le grain de la pellicule d'origine. Mis à part la fin du film, en extérieur, où l'on retrouve un peu les couleurs flamboyantes et non réalistes très caractéristiques de la fin des années 60, le film a un piqué d'image qui se rapproche d'une vidéo HD et qui « lisse » tout. En vérifiant sur un petit ordinateur, je n'ai cependant pas eu la même impression. Je laisse donc mes lecteurs chanceux qui le découvriront sur grand écran me dire ce qu'ils en ont pensé.

Dragon Inn est le premier film que King Hu tourne à Taïwan après son expérience à Hong-Kong pour la Shaw Brothers. Dans cette histoire de puissant eunuque qui fait régner la terreur et assassiner un de ses loyaux ministres, on trouve déjà les prémices de ce qui sera le chef-d’œuvre du cinéaste : A touch of zen. En effet, les trois enfants du défunt s'enfuient mais la police secrètes cherchent à les exterminer, notamment en leur tendant une embuscade à « l'auberge du dragon ». Mais de mystérieux combattants débarquent également pour protéger ces descendants...

Avec Dragon Inn, King Hu pose les bases (déjà tangibles dans L'hirondelle d'or) de son approche très personnelle du Wu-Xia-Pan (film de sabre chinois) : des combats chorégraphiés de manière à évoquer autant le cinéma de kung-fu que les danses de l'opéra chinois, une manière de traquer l'intime au cœur de l'action et un soin méticuleux à tous les aspects de la mise en scène : le cadre, la profondeur de champ, le montage, l'image, la lumière...

Contrairement à Touch of Zen, Dragon Inn est, dans un premier temps, une sorte de huis-clos se déroulant dans cette fameuse auberge. Mais les deux films partagent une même prédilection pour les lieux (on se souvient de la demeure « hantée » de A touch of zen).

L'auberge du dragon devient ici le théâtre d'un étonnant jeu d'échec où King Hu déplace ses pions avec un sens inouï de la topographie. Tous les personnages élaborent des stratégies pour tromper les autres : dissimulation, vin empoisonné, chausses-trappes, tentatives de corruption... Si les scènes d'action sont spectaculaires, elles sont surtout une espèce de prolongement logique à cette dimension « stratégique » du récit.

Il y a du western dans le film de King Hu qui nous offre quelques sublimes plans d'ensemble sur des étendues désertiques et rocailleuses. Cette auberge devient une sorte de version chinoise du saloon américain où l'espace est piégé de mille dangers.

Après cette partie « en intérieur », le film prend le large et devient une longue course-poursuite entre les héritiers et les membres de la police secrète. Comme dans A touch of zen, il est tentant de faire une lecture « politique » du film et de voir dans cette opposition légitime au pouvoir sanguinaire du grand eunuque une critique cinglante du régime maoïste et du despotisme chinois.

Mais King Hu ne s'appesantit jamais, que ce soit lorsqu'il s'agit de cette dimension métaphorique ou qu'il s'agisse de la reconstitution de l'époque Ming. Pour lui, seule importe la beauté du geste.

Si Dragon Inn ne possède sans doute pas l'ampleur de A touch of zen et si on peut lui reprocher parfois une narration un peu relâchée, le film séduit par la beauté de sa mise en scène (certains plans, où le cinéaste joue avec la profondeur de champ, sont sublimes) et par la grâce de ses combats chorégraphiés. Par ailleurs, le film n'est pas dépourvu d'un certain humour (on se moque souvent, dans les dialogues, du statut des eunuques qui semblent compenser leur incapacité à aimer par un goût infantile pour la violence) et cette légèreté n'est pas pour rien dans le charme qu'il distille.

Une belle réussite dans l’œuvre de King Hu dont la redécouverte actuelle est une belle aubaine pour les cinéphiles...

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