Teo Hernandez par Gérard Courant : volume 1 et 2 (1979-2006) de Gérard Courant. (Editions L’Harmattan, 2 DVD)

Connaissez-vous Teo Hernandez?

Teo Hernandez (1939-1992) est sans doute un nom totalement inconnu pour la plupart d’entre vous. J’avoue que si je n’avais pas, un jour, vu les Cinématons tournés par Courant, je n’aurais sans doute jamais entendu parler de cette figure majeure du cinéma underground français dont l’œuvre a été essentiellement tournée en Super 8 et en 16mm.

Gérard Courant fut l’un de ses proches de la fin des années 70 au milieu des années 80 et il a enregistré trois conversations avec lui entre 1979 et 1982, trois « carnets filmés » que l’on retrouve sur ces deux DVD. Mes films commencent au moment où les autres se terminent (Conversation avec Teo Hernandez I) est un dialogue à trois voix puisque Joseph Morder s’est joint à Courant pour interroger le cinéaste. A l’image défilent les trois Cinématons des protagonistes et le comédien Gaël Badaud finit par se joindre à une conversation où sont évoqués les souvenirs de jeune cinéphile de Teo Hernandez, ses réflexions sur la narration et le récit ou encore sur le rêve.

Un cinéaste qui ne tient pas la caméra est comme un peintre qui ne tient pas le pinceau (Conversation avec Teo Hernandez II) est une prolongation de ce dialogue entamé avec Hernandez. Gérard Courant y discute de son inscription dans la « culture mexicaine » et se heurte au cinéaste qui refuse justement de se voir assigné à cette seule identité. Ils évoquent également l’évolution du cinéma et voit dans le triomphe d’Apocalypse now une sorte de point final à l’inventivité bouillonnante des années 70 et comme la sonnerie annonçant le « retour à l’ordre » d’un cinéma commercial à grand spectacle.

Teo Hernandez sur Radio Ark en ciel nous propose l’enregistrement intégral (musique récréative comprise) d’une émission de radio animée par Gérard Courant en 1982. Pour le coup, le dialogue sonne parfois un peu comme une redite puisque Hernandez évoque son enfance cinéphile et il est encore question de la culture mexicaine.

En 2006, Mauricio Hernandez, le neveu de Teo Hernandez se rend chez Gérard Courant pour qu’il évoque les souvenirs de son oncle. Courant a enregistré cet entretien, Teo Hernandez à Paris, qu’il a monté en surimpression avec les deux Cinématons du disparu. Il évoque également leur rencontre, leur amitié et cette époque très dynamique pour le cinéma d’avant-garde français.

Connaissez-vous Teo Hernandez?

Que retenir de ces quatre films ? Avouons-le d’emblée, ce ne sont pas forcément les plus séduisants des « carnets » de Courant pour la simple et bonne raison que Teo Hernandez n’est pas une personnalité très connue et qu’en ayant vu aucun de ses films, c’est un peu plus difficile de se plonger dans ces conversations où sont parfois évoquées des scènes précises (une scène avec un poisson, dans Cristaux, semble avoir particulièrement marqué Courant).

Ensuite, en enchaînant les quatre films (surtout les trois premiers), le spectateur n’est pas à l’abri de quelques redites, notamment sur les films préférés du cinéaste dans sa jeunesse (Blanche-Neige, les 1001 nuits avec Sabu…) ou sur les questions liées à la culture mexicaine.

Ces petites réserves posées, ces « carnets » prouvent une fois de plus l’inestimable richesse des archives de Courant, qui enrichit chacun de ses films par de précieux documents : lettres, programmes de festivals, photos... Que Teo Hernandez soit presque totalement inconnu sauf dans le milieu du cinéma d’avant-garde, c’est un fait. Mais entendre sa voix d’outre-tombe et des cinéastes cinéphiles (Courant, qui l’a défendu dans des revues comme Cinéma 80, mais aussi Morder) enthousiastes donne une furieuse envie de découvrir son œuvre. D’autre part, les films sont parsemés de pistes de réflexion passionnantes, qu’il s’agisse de l’évolution du cinéma à grand spectacle (avec une focalisation sur Apocalypse now que plus personne ou presque ne songerait à dénigrer aujourd’hui) ou de l’accueil critique du cinéma d’avant-garde (avec quelques piques visant Michel Ciment assez savoureuses puisqu’elles corroborent la thèse d’Edouard Sivière sur la crispation du « pape » de la critique sur une défense infaillible de quelques auteurs « canonisés » et académiques).

De ce point de vue, Teo Hernandez à Paris est peut-être le film le plus passionnant puisqu’il est déjà « rétrospectif » et qu’il se concentre sur les souvenirs de Gérard Courant (qui a une mémoire d’éléphant !). Et c’est un grand plaisir de l’entendre parler d’une époque où l’on estimait que le Super 8 était une sorte d’aboutissement logique de la « caméra-stylo » chère à Astruc. Hernandez prétendait d’ailleurs qu’un cinéaste qui n’aurait pas tenu sa caméra serait un peu comme un peintre ne tenant pas son pinceau ! Entre festivals, solidarités entre cinéastes et désir d’inventer un nouveau langage cinématographique, cette évocation est particulièrement intéressante.

On espère qu’un jour, en plus de son fabuleux « journal filmé », Courant aura l’envie de coucher tous ses souvenirs sur papier. Ça serait, à n’en point douter, absolument passionnant.

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