Le Cycle de l’ange : travaux choisis (1994-2003) de Maria Klonaris et Katerina Thomadaki. (Editions Re :voir) Sortie en DVD le 27 octobre 2020

© re:voir

© re:voir

Tout commence par une photographie que Maria Klonaris découvre, à l’âge de treize-quatorze ans, dans les archives de son père gynécologue-chirurgien. Ce document représente un cas d’hermaphroditisme avec un modèle aux yeux bandés et au sexe ambigu. A partir de 1985, ce personnage marqué par le sceau de la transgression (sexuelle mais également familiale) devient « l’ange » et inspire un cycle d’œuvres transmédias à l’artiste ainsi qu’à sa co-équipière Katerina Thomadaki. Leur œuvre protéiforme embrasse aussi bien le champ des arts plastiques (avec des performances et des installations) que celui du cinéma dit expérimental et de l’art vidéo. Les éditions Re :voir nous donne aujourd’hui l’occasion de découvrir un petit aperçu de leur travail à travers quatre films du « cycle de l’ange ».

Comme avec l’art conceptuel, l’immersion dans ce genre d’œuvre peut déconcerter et quelques éclaircissements semblent nécessaires. Le livret qui accompagne le DVD est, à ce titre, très utile. Pour comprendre, par exemple, ce que signifie cet « ange » pour Maria Klonaris :

« Pour nous, c’est un signe pluridimensionnel, ouvert et absolument diachronique. Une figure emblématique. Il relie la mémoire et les archétypes avec le monde contemporain, avec les crises actuelles de l’identité sexuelle. Ce corps ressemble à un mandala, un schéma dynamique qui ouvre l’esprit, éveille les sens et la clairvoyance. Un schéma qui ouvre la voie vers une élaboration spirituelle, émotionnelle, mais aussi socio-politique. »

Si cette déclaration peut paraître un brin emphatique sur le papier, elle apporte un éclairage intéressant sur les quatre œuvres présentées ici. En effet, l’image de cet « ange » imprime une dynamique et un contraste entre l’individu, son corps et l’univers qui l’environne. Dans Personal Statement, la main de Katerina Thomadaki tente de caresser ce corps androgyne représenté sur la photo tandis que la voix de Maria Klonaris récite un texte (« tu es devenue une infinie fiction amoureuse »). Composé de manière verticale, comme une infinie chute (celle des anges ?), le film établit un lien entre l’hermaphrodite et la main de l’artiste et cette connexion finit par interroger un certain rapport au monde, au sexe et à l’identité.

Dans Pulsar et Quasar, on retrouve ce même rapport entre un corps et l’univers, ce désir d’ouverture de l’esprit à une nouvelle cosmogonie. Pulsar montre Maria Klonaris en train d’exécuter une sorte de danse rituelle tandis qu’explose derrière elle une sorte de feu d’artifice évoquant des fragments lumineux interstellaires.  Dans Quasar, les deux artistes se retrouvent également immergées au cœur du cosmos et leurs yeux s’ouvrent sur des animations de photographies astronomiques (« de sorte à produire des dilatations et des contractions permanentes, des tourbillons et des schémas topologiques tri-dimensionnels »). Ces œuvres vidéo produisent un effet hypnotique lié à cette tension entre les fragments du corps des artistes (la main dans Personal Statement, les yeux dans Quasar, la danse dans Pulsar) et l’univers infini qui les accueille. Les images cosmiques figurent d’une certaine façon un prolongement des corps et des esprits de l’individu tandis que l’image récurrente de l’ange hermaphrodite figure une sorte d’identité multiforme capable d’accueillir chaque individu dans son rapport au monde.

Si avec ces films, Klonaris et Thomadaki s’aventurent sur ce pan qu’elles dénomment « élaboration spirituelle, émotionnelle », Requiem pour le XXe siècle illustrerait davantage le pan « élaboration socio-politique ». En effet, dans un geste assez godardien (on songe beaucoup aux Histoire(s) du cinéma), elles associent le corps de l’hermaphrodite aux grandes tragédies du siècle : guerres, génocides, déportations, purification ethnique, racisme, etc. Les images « documentaires » sont emportées par un montage constamment inventif et par un travail plastique mêlant négatif, surimpressions et transformations optiques et électroniques. Là encore, l’image de l’hermaphrodite incarne une sorte de conscience au monde et devient tous les corps imaginables : ceux des bourreaux et des victimes, corps suppliciés ou corps immobiles face aux événements.

Ce DVD tombe à pic pour donner un aperçu de l’œuvre de Klonaris et Thomadaki et donnera sans doute envie aux amateurs de recherches plastiques et au curieux de toutes les formes d’art de se pencher plus en avant sur ces deux artistes.

Retour à l'accueil