Le Parfum de la dame en noir (1974) de Francesco Barilli avec Mimsy Farmer (Artus Films)

© Artus Films

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Acteur chez Bertolucci (Prima della rivoluzione) puis scénariste pour Umberto Lenzi (Au pays de l’exorcisme) et Aldo Lado (Qui l’a vue mourir ?), Francesco Barilli est une figure atypique du cinéma italien dans la mesure où il ne tournera que deux longs-métrages de fiction. Même s’il participera par la suite à un film collectif en 1991 (Le Dimanche de préférence), il n’aura signé que quelques courts et des documentaires.

S’il s’avère difficile de déterminer des thématiques à partir de ces deux films, on peut cependant constater que le cinéaste aime varier les registres et faire le grand écart au sein de ses récits entre une forme de cinéma d’auteur et le cinéma d’exploitation. A ce titre, la dernière scène du Parfum de la dame en noir (que je ne révèlerai pas mais qui me paraît être la seule fausse note du film) nous propulse du côté du cinéma de Joe D’Amato voire même de Raphaël Delpard (La Nuit de la mort) alors que le film navigue par ailleurs entre le giallo (l’héroïne semble constamment la proie d’une immense machination) et le thriller mental. Barilli récidivera d’ailleurs avec son film suivant, l’étonnant Pensione Paura qui oscille entre le drame historique (l’action se situe à la fin de la seconde guerre mondiale), le simili-giallo (un meurtre à l’arme blanche) et le « rape and revenge » horrifique.  

Le Parfum de la dame en noir suit les traces de Silvia (Mimsy Farmer), une jeune chimiste que le travail accapare au point qu’elle met entre parenthèses sa vie sentimentale et délaisse son fiancé Roberto. Lors d’une soirée, il est question d’occultisme et, à partir de ce moment, la jeune femme va devenir la proie d’entêtantes visions. Des images de son enfance, de sa mère couchant avec son amant lui reviennent en mémoire. La narration s’efforce alors de suivre les méandres de cette psyché perturbée. Dès les premiers plans, Barilli nous présente la chambre de Silvia et des éléments qui évoquent cette enfance : un tableau, une photo de famille où la petite fille se tient entre ses deux parents, une petite poupée comme un fétiche magique… Cette thématique de l’enfance bafouée, elle est au cœur de l’œuvre du cinéaste puisque dans Pensione Paura, on retrouvera une jeune femme (Leonora Fani) livrée à elle-même après la mort de sa mère et qui attend désespérément le retour de son père parti à la guerre. On songe également au superbe Qui l’a vue mourir ? avec ses meurtres d’enfants et ses ritournelles entêtantes faisant dériver le giallo vers le conte cruel et macabre. Ce rapport à l’enfance est ici explicitement souligné lorsque Silvia voit apparaître la petite fille qu’elle était et que celle-ci tient dans ses mains le livre de Lewis Carroll Alice au pays des merveilles. Tout le film peut, dès lors, être vu comme une sorte de traversée du miroir. C’est d’ailleurs dans un miroir qu’apparaît la première fois la mère de Silvia, cette fameuse « dame en noir » évoquée par le titre.

Pourtant, dans sa très pertinente présentation que l’on trouvera en complément du film, Emmanuel Le Gagne note que cette référence à Alice est une fausse piste et que c’est moins vers la fantaisie du conte que se tourne Barilli que vers un univers mental perturbé. La grande beauté du film tient à cette indécision que laisse toujours planer la mise en scène, semant çà-et-là des indices sans que le spectateur sache si ces pièces du puzzle finiront par dessiner un motif cohérent. Le cinéaste dissimule dans son récit de nombreuses chausse-trappes et nous lance sur la piste d’une vaste machination. Les personnages qui gravitent dans l’entourage de Silvia semblent liés entre eux par des motifs mystérieux. Le fiancé fréquente les confrères d’origine africaine de la jeune femme, un homme au visage patibulaire se trouve chez le marchand chez qui Silvia va faire réparer un cadre cassé et on le retrouve mystérieusement en employé de zoo un peu plus tard… Rien ne nous sera précisé sur cette silhouette mais, comme plus tard dans Le Locataire (les plongées verticales dans la cage d’escalier annoncent le film de Polanski), tout ce voisinage finit par devenir inquiétant (le veuf souriant qui semble dissimuler de terribles secrets derrière son allure débonnaire).

La force du Parfum de la dame en noir est de toujours naviguer en eaux troubles et de ne jamais opter pour une piste claire, qu’il s’agisse de la machination, du délire paranoïaque (après tout, un meurtre a bien lieu) ou des troubles mentaux d’un cerveau perturbé par des traumatismes venus de l’enfance. Silvia s’enfonce peu à peu dans un monde parallèle où tous les repères entre fantasmes, réalité et hallucinations s’estompent et se brouillent. On songe parfois aux plus grands films de Polanski, qu’il s’agisse de Rosemary’s Baby (la ressemblance physique entre Mimsy Farmer et Mia Farrow est assez troublante) ou de Répulsion et son héroïne délirante, claquemurée dans ses névroses.

Mais à l’onirisme polanskien, Barilli ajoute une touche « latine » et baroque qui se traduit dans les cadrages, les jeux de lumière et de couleur parfois proches de ceux d’Argento. Sur un réseau social célèbre, Stéphane du Mesnildot souligne avec justesse que Silvia habite Piazza Mincio, à l’endroit même où Argento situera la bibliothèque d’Inferno. Un lieu que Bava avait également filmé dans La fille qui en savait trop.

Le Parfum de la dame en noir pourrait être le beau et singulier chaînon manquant entre les deux, portant en son sein les traces du « giallo » et annonçant, par sa beauté onirique, les délires coloristes de Dario Argento.

 

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