Brigade spéciale (1976) d’Umberto Lenzi avec Maurizio Merli, Tomas Milian, Arthur Kennedy

Le Clan des pourris (1976) d’Umberto Lenzi avec Tomas Milian, Henry Silva, Claudio Cassinelli

Viages du cinéma italien : 26- Umberto Lenzi

Avec Umberto Lenzi, nous abordons un très gros morceau du cinéma populaire et d’exploitation italien. Avec une carrière qui débute en 1958 et qui s’achève en 1992, le cinéaste a tâté un bon nombre de filons prisés par les artisans transalpins. Renommé chez les amateurs pour quelques films d’horreur particulièrement gore (le fameux Cannibal Ferox), il a néanmoins fait preuve d’un éclectisme remarquable et signé quelques fleurons des genres qu’il a abordés.

Sa carrière peut d’ailleurs se diviser en plusieurs grandes périodes assez distinctes. Au cours des années 60, il aborde de nombreux genres populaires qui firent les délices des cinémas de quartier : aventures exotiques (Le Temple de l’éléphant blanc), films de pirates (Mary la rousse, femme pirate), péplums (Maciste contre Zorro, Hercule contre les mercenaires), films de guerre (Les Chiens verts du désert), films d’espionnage (Des fleurs pour un espion) ou encore adaptations de « fumetti » (Kriminal).

Avec Si douces, si perverses en 1969, il entame une longue série de « gialli » avec des films (réussis) comme Le Tueur à l’orchidée (1972) ou le délirant Spasmo (1974). Lorsque le filon du giallo commence à se tarir, il se lance dans le « poliziottesco » avec La Guerre des gangs, genre dans lequel il se spécialisera dans la deuxième moitié des années 70.

Alors qu’il avait signé ce que certains considèrent comme le premier film de cannibales en 1972 (Au pays de l’exorcisme), il va s’illustrer au début des années 80 avec un certain nombre de films d’horreur particulièrement sanglants : La Secte des cannibales, L’Avion de l’apocalypse, Cannibal Ferox

Et lorsque le cinéma italien connait une grave crise au cours des années 80, le cinéma d’exploitation populaire amorce un irréversible déclin. Lenzi reste alors fidèle à son goût pour les genres mais disparaît peu à peu des radars. On lui doit encore quelques films d’aventures (La Guerre du fer, démarquage de La Guerre du feu), de guerre (Trésor de guerre) ou d’horreur (Demoni 3, qui n’a rien à voir avec les films de Lamberto Bava).

Comme on peut le constater, c’est un livre entier qu’il faudrait consacrer à la carrière riche et variée de cet honnête artisan. Pour poursuivre notre petit panorama des divers visages du cinéma italien, nous allons nous intéresser à sa période « poliziottesco ».

Petit rappel pour ceux qui ne me suivent que sporadiquement. Le « poliziottesco » (qu’on pourrait traduire par « néo-polar ») est un genre qui nait dans la foulée de quelques grands succès du cinéma américain : French Connection de Friedkin (on notera que dans les deux films de Lenzi, les gangsters sont des « marseillais » et qu’ils trempent dans de gros trafics de drogue), Dirty Harry de Don Siegel (avec cette figure de flic intègre qui a recours à des méthodes inorthodoxes pour vaincre la pègre) puis, un peu plus tard, Un justicier dans la ville de Winner. Si la dimension mercantile de la naissance du filon saute aux yeux, le genre s’inscrit pourtant dans un contexte politico-social particulier. En effet, il éclot à une époque où l’Italie connaît ses « années de plomb » et une crise politique majeure. Enlèvements, attentats terroristes, déliquescence de la social-démocratie, corruption des élites : tout cela forme un terreau particulièrement riche pour permettre au genre d’arborer une spécificité italienne.

En ce sens, Brigade spéciale est peut-être l’un des plus réussis des « poliziotteschi » (avec certains Castellari), une œuvre à la fois stéréotypée, parfois idéologiquement douteuse mais menée tambour battant, avec un véritable sens de la mise en scène. Le commissaire Tanzi (Maurizio Merli) est un flic dont les méthodes hérissent le poil de sa hiérarchie. Bien décidé à lutter contre la délinquance, il ne supporte pas les atermoiements de la justice, les chicaneries administratives et juridiques. La justice, il la fait régner dans la rue grâce à son revolver. Si la trame narrative repose sur une chasse à l’homme (il s’agit de démanteler le milieu marseillais en arrêtant l’un de ses redoutables parrains), le film est composé d’une succession de confrontations musclées entre Tanzi et divers délinquants, qu’il s’agisse de petits voleurs à la tire, de fils à papa encanaillés, de trafiquants ou autres braqueurs de banque. Le plus redoutable adversaire du commissaire est un nommé Moretto (Tomas Milian), surnommé « le bossu ». C’est par son intermédiaire que le flic voudrait remonter la filière mais c’est également celui qui lui donnera le plus de fil à retordre.

Avec Brigade spéciale, Lenzi filme Rome comme une métropole inquiétante, où règnent le crime et l’insécurité. A l’instar de l’inspecteur Harry, Tanzi ne supporte pas de ne pas pouvoir agir. Si le cinéaste fait parfois mine d’être dialectique (avec le personnage de la petite amie de Tanzi, psychologue manifestant une certaine empathie pour les délinquants), c’est pour mieux démontrer l’inanité des discours « sociaux ». En ce sens, le film est un véritable réquisitoire et c’est en ce sens qu’il est parfois douteux idéologiquement. Face au crime, une seule réponse possible : la mort sans autre forme de procès. Mais ce côté assez racoleur qui joue sur l’émotion pour orienter les vues du spectateur (qui n’a pas envie de punir un dealer qui injecte une dose à une jeune fille pour la tuer ?) fait finalement l’intérêt du film. On y lit en filigrane toutes les inquiétudes qui traversaient alors la société italienne, la défiance envers les institutions, le sentiment d’insécurité et d’une violence incontrôlable. Il ne s’agit pas de stigmatiser certaines franges de la population (les petits bourgeois violeurs ne valent pas mieux que les prolos obligés de voler pour subsister) mais de dresser un tableau inquiétant d’une société en crise. Lenzi fait preuve d’une réelle force en ne ménageant aucun temps mort. Les scènes d’action sont filmées avec une sécheresse remarquable, évitant les scènes de poursuites en bagnole qui durent des plombes. Au-delà du discours (qui fonctionne plutôt comme une convention comme une autre), c’est la célérité de la mise en scène qui séduit et qui fait de l’œuvre une parfaite série B, sans un poil de mauvaise graisse.

Le Clan des pourris (aussi connu sous le titre La Mort en sursis) s’inscrit toujours dans cette vague du « néo-polar » mais sans cette dimension d’auto-justice. Certes, le commissaire Sarti doit se débrouiller pour retrouver une petite fille enlevée par des gangsters liés au milieu marseillais (avec un inquiétant Henry Salva en chef de bande). Pour cela, il fait libérer le détenu « Er Monnezza » (soit « Poubelle » dans la version doublée ou « Fumier » dans la version sous-titrée), incarné par Tomas Milian, pour qu’il l’aide à remonter la filière. Là encore, Rome semble gangrénée par la violence et la délinquance mais on ne retrouve que de manière plus parcimonieuse le discours « sécuritaire » de Brigade spéciale. Certes, Sarti a parfois quelques altercations avec sa hiérarchie mais il ne cherche pas à jouer les redresseurs de tort et se cantonne à son enquête. A ce titre, une scène est assez amusante car le commissaire dissimule son identité au sein de la bande à Poubelle et assiste au braquage d’un cinéma. Il a, dans un premier temps, le réflexe de s’interposer mais un de ses complices s’en étonne et lui demande en quoi ces petits voyous peuvent l’intéresser. La scène résume assez bien le film : d’un côté, le constat d’une violence endémique qu’on voudrait arrêter, de l’autre, la nécessité de se concentrer sur un seul objectif : sauver une petite fille qui mourra si on ne lui prodigue pas des soins médicaux rapides.

De facture tout à fait honnête, Le Clan des pourris s’avère un tout petit peu moins réussi que Brigade spéciale. Peut-être parce que le personnage de Poubelle (qui reviendra dans d’autres films : L’exécuteur vous salue bien de Stelvio Massi, Echec au gang de Lenzi) tend à phagocyter celui de Sarti et à imprimer une dimension comique à l’œuvre qui désamorce la tension policière. Le film reste un polar assez noir et inquiétant mais avec Milian se dessine déjà la version dégradée du « poliziottesco » qui, à l’instar du western, va connaître à la fin des années 70 un pendant comique avec un certain nombre de films signés Bruno Corbucci (Flics en jeans) ou Steno et son inspecteur Pied-plat joué par Bud Spencer.

Le film de Lenzi n’est jamais parodique mais il offre à Tomas Milian le loisir de faire le pitre lorsqu’il se déguise en moine adepte de la gâchette ou en berger muet. Le numéro comique de l’acteur est tout à fait plaisant mais il atténue parfois la brutalité du genre, qui ressurgit de temps en temps, notamment lors d’un champ/contrechamp particulièrement effrayant entre la fillette terrifiée et le monolithique Henry Silva qui a décidé de la liquider.

Ces deux « poliziotteschi » offrent cependant une facette intéressante du talent d’Umberto Lenzi, cinéaste à la fois un brin roublard (se couler dans le moule pour profiter des filons à la mode) mais capable d’apporter une touche personnelle et une vigueur à un genre que l’on redécouvre aujourd’hui avec plaisir.

 

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