Le premier venu (2007) de Jacques Doillon avec Gérald Thomassin, Clémentine Beaugrand

 

Unanimement accueilli par la presse, le dernier film de Doillon semble être celui du retour en grâce. Pas un film de plus mais la réapparition de l’auteur prodigue, absent des écrans depuis un certain nombre d’années (rien depuis l’intéressant Raja en 2003) et confronté à des difficultés croissantes pour mener à bien ses projets. Il y même quelque chose d’un peu suspect derrière cette unanimité, comme si toute la profession se crispait derrière ce cinéaste pour défendre les derniers bastions d’un cinéma d’auteur laminé par le contexte socioéconomique du cinéma français actuel.

J’attendais beaucoup de ce film et c’est sans doute pour cette raison que je suis un poil déçu même si je reconnais certaines de ses qualités. Doillon ne se renouvelle plus : je veux bien y voir la persistance d’un véritable regard tournant autour des mêmes thèmes mais je ne peux pas m’empêcher de déceler ça et là un certain essoufflement. Ou peut-être est-ce moi qui ait vieilli et qui supporte moins ce cinéma très écrit et ultra psychologique. C’est possible toujours est-il que depuis ses très grands films (le petit criminel, le jeune Werther), le cinéaste ne m’a plus guère emballé, se contentant selon moi de décliner sous diverses formes les mêmes schémas routiniers (diable ! je suis bien sévère ! Ne vous sauvez pas, je vais nuancer…)

 

Nul ne songera à nier que Doillon est un auteur et le premier venu s’inscrit parfaitement dans la continuité de son œuvre : même point de départ incisif (une jeune fille suit jusqu’en Picardie un garçon avec qui elle vient de passer une nuit semble-t-il agitée), mêmes absences dans le récit qui permettent aux moteurs de la fiction de se mettre en branle (que s’est-il réellement passé durant cette nuit ? Costa a-t-il violé Camille ? Est-ce qu’une histoire d’amour est possible à construire sur des fondations aussi fragiles que cette nuit passée avec « le premier venu » ?) et même volonté d’épuiser toutes les possibilités d’une situation donnée en épousant les méandres des sentiments et affects des personnages.

On retrouvera même en miroir certains passages des films précédents de Doillon : à la quête effrénée du jeune héros du Petit criminel résolu à retrouver sa sœur répond la volonté de Costa (joué par le même Gérald Thomassin) de renouer avec sa fillette qu’il n’a pas vue depuis sa naissance. Et lorsque Camille et Costa s’isolent dans une sorte de bunker aménagé en appartement sur une plage, on se souvient des jeunes héros de La drôlesse s’isolant pour vivre leur amour en dehors des règles édictées par la société.

L’enjeu du Premier venu, c’est celui que décline assez joliment Camille lorsqu’elle discute du Bescherelle avec le troisième larron du classique triangle amoureux cher à Doillon, un flic pas antipathique du coin. La jeune femme lui explique que dans cet ouvrage, le verbe « aimer » vient après « être aimé » et « se méfier ». Il s’agit donc pour elle d’apprendre à aimer (comme dirait le poète persécuté par le fisc !) après avoir été aimée (cette fameuse première soirée, champ aveugle du film) et s’être méfiée. Elle dit encore assez justement que cet apprentissage de la conjugaison du verbe « aimer » n’est en aucun cas l’affaire de la police et cette petite phrase anodine en dit long sur le regard de Doillon. Lui-même décline sur tous les modes (depuis plus de 30 ans) la conjugaison du verbe aimer sans jamais poser sur ses personnages un regard normatif ou surplombant.

Amenés à commettre des actes illégaux (je n’en dis pas plus) par leurs conditions sociales ou perdus dans le dédale de leurs sentiments, les personnages ne sont jamais regardés de haut. On pense lors de certaines séquences à L’appât sauf qu’il n’y a jamais chez Doillon le regard du juge paternaliste et moralisateur du père Tavernier.

Conjuguer le verbe aimer, cela signifie aussi épuiser toutes les ramifications psychologiques de ce sentiment amoureux (avouons-le, certaines restent obscures !). Cela passe chez le cinéaste par un travail sur la parole et le langage.

Les films de Doillon sont très bavards et les personnages ne cessent de formuler les raisons qui les poussent à agir. C’est là où se situe à mon avis la singularité et les limites de son cinéma.

Singularité car ce travail poussé sur le langage permet au cinéaste d’excéder le naturalisme ou l’ordinaire du cinéma psychologique français. Pour parler comme dans les revues professionnelles, le film est travaillé par la langue et elle lui donne ses contours râpeux. Cela passe aussi par une formidable direction d’acteurs, tous épatants sans la moindre exception. Doillon retrouve ici Thomassin, toujours aussi admirable que dans le petit criminel. Il y a du Gérard Blain dans sa gueule de petite frappe butée, submergée de temps en temps par des bouffées de tendresse et de fragilité. Le cinéaste joue merveilleusement de son débit de parole, de sa démarche pour le filmer comme un tigre en cage, animal sanguin prêt à exploser à tout moment.

Face à lui, Clémentine Beaugrand est une extraordinaire révélation, ravissante actrice aux grands yeux noirs dont le sourire illumine soudainement un visage angélique. Le film épouse son regard si profond et puise chez elle ses zones d’incertitudes et d’ombres qui font ses qualités.

Limite aussi que ce travail sur le langage car, dirions-nous en exagérant, il pourrait presque se passer d’images. Plusieurs fois j’ai été gêné par des plans qui raccordent sur un dialogue alors que les personnages ne se trouvent plus aux mêmes endroits. Qu’il y ait eu une mini ellipse spatiale ne semble pas ennuyer Doillon qui reprend le dialogue où il l’avait laissé. Ce n’est pas « l’irréalisme » de la chose qui me gêne (ce décalage pourrait même être intéressant) mais ce sentiment que le dialogue prime finalement sur tout ce qui se passe autour et que rien ne doit le brouiller (au contraire de quelqu’un comme Rohmer qui, aussi littéraire soit-il, joue du langage comme cache aussi bien que comme révélateur). Je ne dis pas que Doillon ne fait pas de mise en scène (le montage est plutôt vif, le cadre soigné et la photo plutôt agréable) mais c’est avant tout le dialogue qui prend en charge les enjeux de ce qui se joue entre les personnages (et comme par malchance pour Doillon, je découvre en ce moment les magnifiques films de Yoshida – Histoire écrite sur l’eau, le lac des femmes- où rien n’est dit sinon par la mise en scène, ça jure un peu !) 

Sans doute ai-je tort mais ces interminables plages dialoguées entre des personnages qui ne cessent de revenir sur ce qu’ils ont dit ou fait finissent par me lasser un peu. Autant j’aime la manière dont Kéchiche épuise ses scènes dans La graine et le mulet (où la parole, omniprésente aussi, est moins importante que la manière dont elle s’inscrit dans un espace), autant elle finit par m’ennuyer (un peu) chez Doillon.

Encore une fois, le film est très estimable et possède de nombreuses qualités mais force est de constater que ce cinéma n’est plus trop ma tasse de thé…

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