Ciné 68 (2)
Bof, anatomie d’un livreur (1971) de Claude Faraldo avec Julian Negulesco, Marie Dubois, Marie-Hélène Breillat
Après la vision apocalyptique et violemment sarcastique de Godard sur la société française de la fin des années 60, voilà une nouvelle charge explosive contre son organisation absurde même si c’est sur un mode plus émollient. Plutôt que la violence frontale, Faraldo prône ici l’anarchie douce chère à Gébé (le film évoque énormément le délicieux l’an 01) et le pas de côté.
Le héros de Bof est un modeste livreur de vin qui découvre rapidement la servitude de l’esclavage salarié (comme le rappelait fort judicieusement Jacques Le Glou, préposé aux présentations des films soixante-huitards proposés par les chaînes câblées, le travail tue plus sûrement que la cigarette et il ne serait pas inutile de mettre à l’entrée des usines et des entreprises de grands panneaux annonçant : « travailler nuit gravement à la santé » !).
Malgré cela, il (le héros sans nom du film, pas Jacques Le Glou !) se lance sur les chemins balisés que lui propose la société : un travail abrutissant, le départ du giron familial, le mariage avec la piquante Germaine (inoubliable Marie Dubois, absolument lumineuse dans ce rôle de jeune fille mutine et libérée) et le train-train du quotidien.
Tout bascule quand son père décide un beau jour de tout larguer et refuse d’aller pointer pour suivre les excellents conseils du chanteur François Béranger :
« La morale de ce tango, tout à fait utopique,
C’est que c’est pas interdit de rêver
C’est que si tous les prolos, au lieu d’aller pointer,
Décidaient un jour de s’arrêter
Et d’aller prendre leur pied où c’que ça leur plairait
Ce serait bien moins polluant que l’ennui »…
La vie se réorganise autour de cet évènement : le père vient habiter chez son fils qui lui prête volontiers sa jolie femme consentante. Vient se greffer une petite kleptomane (Marie-Hélène Breillat) rencontré par un papa désormais uniquement préoccupé par vivre et savourer le temps présent puis, pour finir, un beau balayeur nègre.
Avec cette petite fable libertaire et utopique, Faraldo réinvente le fouriérisme sexuel et offre aux spectateurs réjouis une jolie apologie de la paresse comme vérité effective de l’homme (dixit Malevitch).
Ce n’est pas un grand film foudroyant et, pour être tout à fait objectif, certains passages sont un peu languissants. Mais il paraît aussi contradictoire de demander à un film exaltant les vertus du farniente de quitter son rythme nonchalant pour un maximum d’efficacité !
Faraldo n’a jamais été ni Welles, ni Godard mais un rejeton pur et dur de l’utopie des années 68. Plus ses films sont proches de l’onde de choc du mois de mai, meilleurs ils sont (outre Bof, je vous recommande son autre brûlot libertaire, Themroc, où l’on pratique joyeusement l’inceste entre frère et sœur et où l’on déguste du CRS en civet !).
Après, la débandade fut assez cuisante. Je vous renvoie lire, pour en avoir confirmation, ma note sur Les fleurs du miel…
Malgré la mollesse parfois irritante de sa mise en scène, Bof, anatomie d’un livreur s’avère, au bout du compte, une expérience roborative. Parce que l’utopie y est célébrée à sa juste mesure, parce que les actrices sont radieuses (est-ce une idée que je me fais mais j’ai l’impression que les femmes n’ont jamais été aussi jolies que dans les années 60-70…Jeunes femmes rouges, toujours plus belles ! Comme si la joie de vivre se lisait sur leurs visages ou, inversement, cette magnifique mélancolie qui me touche tant chez Dominique Laffin, Laurie Bird ou Nico), parce que l’absurdité d’une organisation sociale et des rapports marchands est dépassée au profit de rapports simples, directs et vrais.
Et parce que toute la fable est soulevée par cet espoir magnifique : un autre monde est possible !
NB : Je n’aime pas utiliser ce blog pour faire de la promotion. Mais il se trouve que l’initiative dont me fait part un aimable correspondant me semble digne d’intérêt pour être signalée. Je conseille donc aux chanceux parisiens de se rendre à l’auditorium du Louvre (vous avez bien lu !) le dimanche 18 Mai pour une soirée consacrée à la série Z et au « remploi sauvage ».
Pour un descriptif plus détaillé, je vous renvoie au site du Louvre (ici) ou au site de l’ami Ludo. Comme ce dernier n’a qu’un défaut, celui de se tenir longtemps éloigné de son clavier, cela me permet de faire d’une pierre deux coups et de vous inviter à lire sa dernière note…