Le brigand bien-aimé (1956) de Nicholas Ray avec Robert Wagner, Hope Lange

 

En guise de héros ambigu, Ray s’offre cette fois-ci une légende de l’Ouest américain en la personne de Jesse James. Remake d’un film qu’Henry King a réalisé en 1939, le brigand bien-aimé n’est sans doute pas une œuvre majeure de l’auteur de Johnny Guitar mais un western honorable qui lui permet de renouer une fois de plus avec ses obsessions.

Plutôt qu’un récit linéaire mettant en scène un personnage que tout le monde connaît ou croit connaître (depuis le beau j’ai tué Jesse James de Samuel Fuller, nous savons tout de cette méprisable ordure que fut Robert Ford !), le cinéaste opte pour une forme éclatée en partant d’une attaque de banque qui a mal tourné.

A partir de ce point de départ (Jesse et son gang sont placés du côté des bandits et poursuivis par les tenants de la Loi), Nicholas Ray va prendre un malin plaisir à dresser le portrait d’un personnage complexe, à multiples facettes, capable comme tous ses héros d’excès (voir Bogart dans Le violent) mais dont la personnalité ne peut en aucun cas se réduire à cette figure du Mal opposé à un hypothétique Bien.

Le cinéaste nous renvoie d’abord à la jeunesse de Jesse James et à son appartenance à une famille Sudiste prise dans les soubresauts de la guerre de Sécession. En quelques scènes formidablement troussées, il nous montre que les choses ne sont pas aussi simples que ce que l’on voudrait bien croire (les bons yankees contre les vilains sudistes esclavagistes). Les frères James ne sont plus alors présentés comme des bandits malfaisants mais comme les victimes « collatérales » d’un conflit les dépassant.

Méprisés, ostracisés et pourchassés par les nordistes malgré la fin de la guerre, nos héros n’ont plus qu’à se faire voleurs pour subsister.

A partir de là, Ray ne cesse de nuancer son portrait. La légende du bandit à la « Robin des bois » est malmenée (le seul acte de générosité de James est effectué par défi et par orgueil) tandis que sa fureur s’avère parfois difficile à contenir (Frank l’arrête au dernier moment alors qu’il s’apprête à abattre un de ses complices coupable d’avoir batifolé pendant l’attaque de la banque.)

Mais il y a aussi le Jesse James amoureux de la belle Zee (la magnifique blondinette Hope Lange), le fils fidèle à sa mère et l’homme qui rêve de se ranger afin de pouvoir s’occuper de sa petite famille.

Personnage à multiples facettes, disais-je, qui permet à Ray de relativiser toutes les grandes valeurs sur lesquelles se sont fondées les Etats-Unis : le Bien représenté par les Yankees n’est-il pas déjà une forme d’impérialisme diluée dans la glu des bons sentiments (il y aurait beaucoup de leçons à tirer de ce soldat qui qualifie les sudistes « d’esclavagistes » en mettant la scène en parallèle avec la dictature actuel du « politiquement correct ») ? Jesse James est-il véritablement un bandit ou le produit d’une injustice ? Un individu peut-il être d’un bloc rejeté d’un côté ou de l’autre de la limite fluctuante qui départage le Bien et le Mal ? 

En rendant floue cette limite, le cinéaste ouvre la brèche d’une « ère du soupçon » du western dans laquelle s’engouffreront des gens comme Peckinpah ou Léone.

Rien de « maniériste » pour l’instant dans le brigand bien-aimé mais déjà ce sentiment que les légendes peuvent, elles aussi, se craqueler…

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