Nazarin (1958) de Luis Buñuel avec Francisco Rabal


Bonne nouvelle : la chaîne câblée « Cinécinéma Classic » propose un alléchant cycle Buñuel, occasion rêvée de découvrir certains titres que je ne connais pas encore ou de redécouvrir des films pas revus depuis fort longtemps, comme c'était le cas pour Nazarin.

Dans son livre de souvenirs (l'indispensable Mon dernier soupir), Buñuel dit de ce film qu'il est l'un de ceux qu'il préfère parmi ceux qu'il a tournés au Mexique. Pour ma part, je le trouve assez mineur malgré quelques séquences mémorables (ce Christ en peinture qui soudain semble s'esclaffer alors qu'on l'avait vu représenté souffrant peu de temps auparavant).

Le cinéaste raconte aussi le malentendu qui est né à la suite de ce film qui faillit obtenir un prix de l'office catholique à Cannes (un comble pour le surréaliste qui scandalisa la société bourgeoise avec Un chien andalou et l'âge d'or) et qui permit aux chrétiens une « tentative de récupération ».

Toujours est-il que Nazarin est sans doute le film qui illustre le plus clairement l'ambiguïté de la fameuse pirouette d'un cinéaste se déclarant « athée grâce à Dieu ». 

Le film suit l'itinéraire spirituel d'un prêtre, admirablement interprété par le fidèle Francisco Rabal, confronté chaque jour à la plus noire des misères. Il recueille dans un premier temps une prostituée qui a tué une rivale voleuse puis part sur les chemins du Mexique, son bâton de pèlerin à la main. Après avoir guéri un enfant moribond, il est suivi dans ses pérégrinations par la prostituée et une autre jeune femme...

Moins rigoureux que dans ses grandes œuvres, Buñuel séduit par sa manière unique de transcender le naturalisme apparent de son œuvre (la misère du petit peuple mexicain) par une sorte d'hyperréalisme « magique » dont Terre sans pain ou Los Olvidados demeurent sans doute les exemples les plus parfaits. Par sa manière de filmer sans complaisance l'horreur de la condition humaine, le quotidien le plus sordide, les individus les plus atypiques (le formidable personnage du nain), le cinéaste reste fidèle à ce « cinéma de la cruauté » que définissait si bien Bazin.

Certains passages (l'hystérie collective des femmes lorsque le prêtre s'apprête à prier pour l'enfant sur le point de mourir, le coup de pied dans la poitrine du nain que donne la prostituée en colère...) donne un caractère halluciné au « réalisme » du film et en fait l'intérêt.

De la même manière qu'il joue sans arrêt sur l'ambiguïté du réalisme, Buñuel s'amuse du rapport à la foi et à la religion.

D'un côté, le film peut frapper par une véritable ferveur chrétienne en ce sens que Nazarin est un curé qui suit à la lettre la parole du Christ : il vit dans la pauvreté, il est généreux et miséricordieux, charitable jusqu'à l'excès, préférant le « scandale » (loger une prostituée criminelle chez lui) plutôt que la « respectabilité » du clergé... Même les athées congénitaux de mon espèce doivent confesser une émotion devant le spectacle de cet homme capable de pardonner à la pire des crapules qui ose le frapper alors qu'il est à terre et qu'il ne se défend pas...

De l'autre côté, Buñuel pointe également la totale impuissance de la foi de ce prêtre face à la misère qui l'entoure. Une des images récurrentes de son cinéma, que l'on retrouve déjà dans Nazarin, c'est celle d'individus marchant sur une route vers nulle part. Malgré toute sa ferveur, le prêtre semble incapable d'avoir la moindre petite emprise sur le Réel : le « miracle » qu'il accomplit est douteux, la foi des deux femmes qu'il convertit n'est pas si éloignée que ça de la pure superstition (il ne cesse d'ailleurs de leur reprocher) et l'impression globale du film rappelle la fort jolie définition qu'Ambrose Bierce donne de la religion : «  Fille de l'espoir et de la Crainte, qui enseigne à l'Ignorance la nature de l'Inconnaissable. »

Le plan final où Nazarin accepte l'aumône d'un ananas montre parfaitement son désarroi et l'absurdité de sa condition.

Le cinéaste a, selon moi, déjà fait beaucoup mieux mais l'ambiguïté qu'il parvient à tirer de ses images suffit à faire de Nazarin une œuvre intéressante à redécouvrir...


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