Calmos (1976) de Bertrand Blier avec Jean-Pierre Marielle, Jean Rochefort, Bernard Blier, Claude Piéplu, Brigitte Fossey, Claudine Beccarie.



C'était le seul film que je n'avais pas vu de Blier, sans doute l'un de ses plus oubliés, peut-être le plus rare (avec les deux premiers que sont Hitler...connais pas ! et Si j'étais un espion).

Calmos est aussi le film le plus détesté de son auteur qui, lui-même, ne se montre pas tendre pour cette œuvre qu'il estime « ratée ».

Et il est vrai que de passer de Demy à ce Blier, c'est un peu échanger le caviar et le Meursault pour un jambon beurre et de la Kro !

Furieusement misogyne, outrancier à l'extrême, bourré de défauts, c'est pourtant un film que j'ai envie de défendre et qui m'a bien fait rire. Peut-être ai-je un petit côté masochiste qui me pousse à voler au secours des œuvres les plus vilipendées du cinéaste (je dois être la seule personne en France qui avoue avoir pris du plaisir à ses Côtelettes !)


Après le succès de scandale de ses excellentes Valseuses (si j'ose m'exprimer ainsi !) ; Blier pousse le bouchon plus loin et joue délibérément la carte de la provocation avec cette fable farcesque et « hénaurme » qui prend pour cible principale...les femmes.

Las de son boulot de gynécologue, Paul (il fallait bien Jean-Pierre Marielle pour interpréter un rôle pareil !) déserte son environnement et part se réfugier à la campagne avec Albert (Jean Rochefort) qu'il rencontre dans la rue. Débarrassés de la gent féminine, nos deux compères s'adonnent aux joies simples de la bouffe et du bon vin. Plaisirs qu'ils partagent avec un voisin ecclésiastique porté sur la bouteille (Bernard Blier, tordant).

Jusqu'au jour où les femmes s'organisent et constituent un troupeau en rut pourchassant dans le maquis tous les braves bonshommes ayant décidé de fuir le devoir conjugal...


Tourné en plein essor du féministe, ce film aux (fausses) allures de farce misogyne a dû faire hurler à l'époque et je doute qu'il soit aujourd'hui plus apprécié en ces temps de communautarisme exacerbé (je rêve de voir la réaction d'une grotesque féministe style Alonso devant ce film !). Découvert 30 ans après, sa démesure parvient à séduire.


Autant prévenir quand même, Calmos n'est pas sans défauts : le côté « film de scénariste » (à la Audiard) toujours présent chez Blier n'est pas transcendé ici par la mise en scène, qui s'avère relativement plate (à quelques exceptions près) et non dénuée de longueurs impardonnables.

Moins soutenu au niveau du rythme que des films comme Les valseuses ou Tenue de soirée, Calmos n'ose pas non plus totalement jouer la carte de l'absurde et de la fable comme le feront les grands films de Blier (Buffet froid, Notre histoire). Certes, il y a quelques ellipses plutôt bien vues mais elles sont portions congrues.

J'aime beaucoup, par exemple, le tout début du film (souvent le point fort de Blier qui s'y entend pour nous cueillir par des douches froides !) : après ce qu'il convient de désigner comme la scène la plus misogyne (mais si drôle !) de toute l'histoire du cinéma (Marielle dans son cabinet de gynéco, qui s'occupe moins de sa patiente -Claudine Beccarie- les jambes en l'air que de son sandwich au pâté et de son petit blanc avant de s'enfuir, dégoûté par la vision de « l'origine du monde » et de sa « propriétaire » qui se gratte peu délicatement), la fuite est traitée en scènes très elliptiques et à la limite du réalisme. On retrouve alors cet art qu'a Blier de dépasser par la vitesse le cadre très écrit de ses scénarii et de naviguer sans cesse entre le réalisme et une sorte de fantastique.

La suite s'avère plus calme et l'humour du film repose avant tout sur la verve de dialogues rabelaisiens à souhait (Paul s'exclamant qu'il ne bande plus que pour la blanquette de veau et son petit blanc) et la faconde gourmande des comédiens (les scènes avec Bernard Blier en curé rougeaud sont assez tordantes : un exemple ici). Pour ma part, j'ai un faible pour Marielle, absolument génial dans le registre du bon vivant épicurien qui sera le sien dans le l'excellent Les galettes de Pont-Aven de Joël Séria.

Vers la fin, Calmos part dans un délire pas forcément très maîtrisé mais assez hallucinant. Les hommes sont désormais pourchassés par des nymphomanes en treillis qui veulent les forcer au devoir conjugal. C'est Aristophane mais à l'envers ! (il faut voir l'une des soldates s'exclamer qu'elle n'en peut plus d'attendre, qu'elle a « le clitoris qui se cambre ». Vous apprécierez l'élégance !)

Après une scène dans un hôpital où nos deux héros servent d'étalons cobayes aux appétits insatiables de ces dames (dont Dominique Lavanant qui se balade en tenue d'Eve : avis aux amateurs ! Le film permet également de vérifier que la très sexy Brigitte Fossey est une vraie blonde, ce qui n'est pas négligeable !) ; nous les retrouverons à la fin du film, échoués dans un vagin géant (sic !).

Malgré cette ostentatoire lutte antiféministe, Calmos n'est pourtant pas aussi simpliste que ça.

D'une part, parce que l'outrance désamorce le côté « polémique » qu'il pourrait avoir. D'autre part, parce que Blier ne se prive pas de montrer la bassesse de ces hommes qui bouffent des tripes au petit-déjeuner et ne rêvent que de blanquette et d'aïolis (en évitant de se laver les dents après !).

Rien de reluisant dans les portraits de ces hommes médiocres et impuissants.

Le secret de Calmos, c'est peut-être de montrer l'impasse du féminisme lorsqu'il décide de singer le pouvoir patriarcal dans ce qu'il a de plus misérable. Lorsque Blier montre cette armée de femmes gueulant des chants de troufions, c'est surtout pour montrer qu'homme ou femme, c'est l'uniforme qui rend con et vulgaire. Et ce n'est pas les femmes que le cinéaste fustige, mais plutôt ce désir qui les pousse à vouloir devenir aussi connes que les hommes en se parant de leurs « attributs » les plus méprisables (virilité, camaraderie guerrière, etc.)


A l'heure où on assiste au désolant spectacle de règlements de comptes entre deux femmes avides de la moindre parcelle de pouvoir et capables de tuer père et mère pour obtenir la tête d'un parti que je ne citerai pas par charité chrétienne (ce n'est pas bien de rire d'un cadavre !), on se rend compte que Blier n'avait pas totalement tort : dans le domaine de la connerie, il y a longtemps que la parité est atteinte...

Retour à l'accueil