J’ai tué Jesse James (1949) de Samuel Fuller avec Preston Foster

 

 

 

Poursuivons allégrement notre série de notes consacrées à Samuel Fuller, incarnation parfaite de la grandeur d’une certaine série B américaine. Dès son premier film, western implacable, le cinéaste impose un style qui fera par la suite sa renommée : sécheresse d’exécution, rythme soutenu, brutalité et absence de la moindre afféterie (1 h 18 pour boucler son film : les tâcherons hollywoodiens d’aujourd’hui qui ne savent pas prendre moins de 2 heures 10 pour terminer leurs rejetons obèses devraient s’inspirer du grand Sam !). Chez Fuller, un plan n’est jamais anodin et correspond nécessairement à une émotion. Emotion en mouvement (l’action, les tueries, les bagarres) ou émotions affectives des personnages. Lorsque Bob (John Ireland) retrouve pour la première fois Cynthy, la chanteuse qu’il aime ; il ne s’agit pas pour Fuller de nous offrir un interlude sentimental dans l’univers viril du Far-West mais de plonger d’emblée dans le dilemme moral qui va charpenter le film et torturer Bob.

 

 

 

Robert (Bob) Brown appartient effectivement au célèbre gang des frères James. Recherché par toutes les polices à l’instar de ses complices, il souhaite cependant se ranger, devenir fermier et épouser Cynthy. Une occasion se présente lorsque le gouvernement annonce une récompense et une amnistie aux complices de Jesse James qui le livreront mort ou vif. Dilemme : trahir un ami et fidèle compagnon et vivre une vie paisible auprès de son épouse ou risquer à tout instant la mort ou la prison ? Le titre ne laisse pas de surprise quant au choix qu’adoptera Bob, décidant un beau jour d’abattre James d’une balle dans le dos avec l’espoir de couler des jours heureux auprès de sa blonde…

 

 

 

Dès 1949, Fuller se livre à une féroce démystification des valeurs américaines. Une fois de plus il choisit un individu livré à lui-même, perdu dans la jungle humaine et obligé de recourir à tous les moyens, même les plus abjects, pour assurer sa survie (il est peut-être temps de rappeler que Fuller a également fait la guerre et que ce traumatisme a du jouer un rôle primordial dans la noirceur et le nihilisme de son cinéma). Bob passe outre toutes les notions de fraternité, d’amitié et de confiance pour satisfaire uniquement aux désirs de sa petite personne. En est-il pire que les autres pour cette raison ? rien n’est moins sûr et Fuller prend bien soin (déjà !) de brouiller ces notions de Bien et de Mal. Dans cette affaire, le gouvernement a utilisé des manières bien plus crapuleuses que celles utilisées par James et son gang lorsqu’ils cambriolaient les banques. Bob agit par intérêt, certes, mais il agit également par amour et c’est ce qui le rend aussi attachant qu’effrayant.

Le cinéaste arrive à peindre un personnage aux mille facettes, rongé à la fois par sa passion (qui faiblit évidemment chez la femme lorsqu’elle se rend compte jusqu’à quelles extrémités son amant est capable d’aller), par la jalousie mais aussi par la culpabilité et la honte.

Une très belle scène le montre parfaitement. Dans un saloon, un chanteur vient lui chanter, sans savoir qui il est, un air consacré à la légende de Jesse James où Bob n’a pas le beau rôle. Il l’interrompt en se présentant mais oblige néanmoins le troubadour, de plus en plus mal à l’aise, à poursuivre sa chanson jusqu’au bout. Elle n’enclenchera pourtant aucune violence, juste cette impression que Bob veut boire le calice jusqu’à la lie, qu’il faut qu’il fixe la honte qui le ronge en entendant les autres décrier son ignominie. La scène est très forte…

 

 

 

Qui est la véritable victime au bout du compte ? Fuller ne tranche pas, montrant aussi Bob sous ses bons aspects (il sauve son rival qu’un type allait abattre dans le dos) tout en décrivant un monde assez impitoyable régit par les seules lois du fric et de l’égoïsme individuel.

Le cinéaste montre surtout que derrière les légendes (celle du bandit au grand cœur, Jesse James), il y a surtout des hommes avec leurs faiblesses et leurs pauvres consciences.

De ce fait, il réalise un western très noir, dépourvu de toute emphase et de tout lyrisme larmoyant. C’est dur, c’est sec : c’est déjà du grand Fuller…

 

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