Tideland (2005) de Terry Gilliam avec Jodelle Ferland, Jeff Bridges, Jennifer Tilly

 

 

 

Ce qui m’a le plus gêné hier, en disant du mal de Kitano, c’est de donner l’impression de hurler avec les loups et de lâcher le cinéaste au même moment que tout le monde. Je n’ai certes pas adhéré au projet de Takeshis’ mais il n’en reste pas moins que je considère son auteur comme l’un des plus grands au monde et que je n’admets pas la condescendance d’une certaine tendance de la critique française à son égard (voir l’imbécile des Inrock qui considère Dolls comme un film « académique » alors que c’est ce même tabloïd qui a porté aux nues la platitude téléfilmique de Peindre ou faire l’amour !)

Idem pour Terry Gilliam qui n’a plus la côte ses derniers temps. Les frères Grimm a été plutôt mal accueilli et Tideland est traité avec un mépris qui laisse songeur (la palme de la bêtise satisfaite revenant sans conteste à la notule assassine des Cahiers du cinéma !). Le film n’est certes pas un chef-d’œuvre mais c’est certainement l’un des plus intéressants que l’on puisse voir en ce moment et c’est une expérience qui ne laisse en aucun cas indifférent (un peu l’équivalent du Livre de Jérémie l’an passé).

 

 

 

Il a été dit un peu partout que Tideland pouvait être envisagé comme une version « trash » d’Alice au pays des merveilles. Nous suivons effectivement les traces d’une petite fille au nom poétique (Jeliza-Rose) qui voit mourir successivement sa mère et son père d’une overdose (c’est elle qui préparait les seringues de son auguste géniteur !) et qui se réfugie dans son monde à elle avec comme uniques compagnes des têtes de poupées.

Réfugiée dans une maison de campagne perdue au milieu de nulle part, elle fera ensuite la connaissance d’une vieille empailleuse un peu givrée et de son frère lobotomisé…

Loin de ses grands films futuristes visionnaires (Brazil, l’armée des 12 singes), Terry Gilliam semble désormais chercher son inspiration du côté du conte et d’un cinéma totalement mental. Tideland ne ressemble à rien (c’est un compliment) si ce n’est à cet autre grand film « malade » injustement sous-estimé que fut en son temps Las Vegas parano.

 

 

 

Une des raisons qui peut expliquer l’accueil glacial réservé à ce film est qu’il ne s’adresse finalement à personne. Parce qu’il adopte une structure de conte et ne quitte jamais le point de vue d’une gamine ; il ne peut pas plaire aux adultes réduisant l’univers de l’enfance aux niaiseries dégoulinantes estampillées Spielberg ou Disney. Gilliam a parfaitement saisi ce que peuvent être les terreurs enfantines que l’on retrouve dans les contes de Grimm (enfants abandonnés par leurs parents, perdus dans de terrifiantes forêts et livrés à des ogres…) .

D’un autre côté, il est trop sombre, trop violent et trop glauque pour pouvoir être vu par des enfants.

 

 

 

Dans les frères Grimm, Gilliam démontait le mécanisme du conte et les mettait à nu. Dans Tideland, il pousse l’expérimentation plus loin en remontant à la source d’où naissent les contes : la tête d’une enfant. Rarement on aura vu un film se tenir aussi strictement à ce point de vue unique, épousant toutes les volutes de l’imaginaire enfantin. La caméra, extrêmement mobile, ne cesse d’encercler la jeune héroïne qu’elle cadre la plupart du temps en plans rapprochés, isolant ainsi ce visage d’où tout semble advenir. De la même manière, le cinéaste filme la plupart du temps Jeliza-Rose dans des endroits confinés et surchargés, créant une sensation de claustrophobie et traduisant à merveille l’enfermement de la petite fille dans son propre univers. Elle est constamment seule, livrée à ses chimères et ne monologuant qu’avec elle-même (par l’intermédiaire de ses poupées dont il ne reste, bien évidemment, que la tête).

 

 

 

Si l’expression n’avait pas déjà tant servi, nous dirions que Tideland est un film-cerveau, entièrement chevillé au regard d’une gamine moulinant le réel au prisme de son imagination ; faisant de chacun des personnages qu’elle rencontre un croquemitaine ou un prince charmant ami. 

La limite du film, c’est son caractère un brin répétitif ; n’ouvrant sur aucune autre perspective que cet imaginaire étouffant.

Il n’empêche que l’expérience mérite d’être vécu, que Terry Gilliam n’a rien perdu de son talent et qu’il arrive à nous offrir un conte totalement intemporel et pourtant très contemporain.

Cela mérite d’être signalé…

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