3h10 pour Yuma (1957) de Delmer Daves ave Glenn Ford, Van Heflin

 

Même si on commence enfin à redécouvrir ce cinéaste, Delmer Daves n’a jamais figuré en bonne place au Panthéon des cinéphiles. Pour ma part, c’est le rouge au front que je dois confesser n’avoir jamais vu un de ses films jusqu’à hier soir. L’attente valait le coup : 3h10 pour Yuma est une petite merveille de western.

Arrêté après avoir cambriolé une diligence, le célèbre bandit Ben Wade (Glenn Ford) doit être conduit à une petite ville où il prendra un train pour Yuma. L’homme qui l’a reconnu et dénoncé, un modeste fermier nommé Dan Evans (Van Heflin) accepte de faire partie des hommes chargés d’escorter Wade jusqu'au train. Parviendront-ils à mener à bien leur mission alors que les compagnons du bandit rodent autour des lieux pour venir secourir leur chef ? Tel sera l’enjeu d’un récit riche en suspense.

Ce qui frappe en découvrant 3h10 pour Yuma, c’est la manière dont ce film s’inscrit dans un « entre-deux » assez inédit de l’histoire du cinéma américain et que l’on a, me semble-t-il, assez peu étudié. En 1957, c’est peu dire que le classicisme hollywoodien est bel et bien terminé. Delmer Daves ne filme plus à « hauteur d’homme » ses personnages comme purent le faire Hawks et Walsh auparavant. La forme s’autonomise par rapport au propos et le cinéaste joue volontiers sur des valeurs de cadre et des axes de prise de vue plus « insolites ». Nous n’en sommes évidemment pas encore à l’ère « maniériste » mais on remarque une véritable stylisation de la mise en scène (attention, je ne suis pas en train de dire que les cinéastes « classiques » n’avaient pas de « style » !). Daves joue souvent, par exemple, avec de légères contre-plongées qui dynamisent les plans tandis que le recours à la plongée, relativement fréquent également, lui permet d’aborder d’une nouvelle manière des figures typées de l’Ouest américain (le bandit flamboyant, le bon et humble cow-boy).

Si je ne craignais pas trop d’extrapoler, je dirais volontiers que le film est pris dans un double mouvement : d’un côté, un mouvement dynamique (la contre-plongée) où la forme s’affirme au détriment du fond (qui n’est cependant pas négligé) ; de l’autre, un mouvement « plongeant » qui révèle la dimension existentielle des personnages. Le héros n’est plus le conquérant que le cinéaste accompagne dans son appropriation du territoire mais un individu esseulé dans un monde beaucoup plus vaste que lui. En ce sens, Delmer Daves fait bien partie de cette génération « inquiète » de l’après classicisme (je pense à des gens comme Anthony Mann, Samuel Fuller ou Robert Aldrich).

Peu à peu, 3h10 pour Yuma se libère de son intrigue pour se recentrer sur le face-à-face entre Wade et Dan, tout deux incarnés par des comédiens d’une remarquable sobriété. Le duel ne se joue plus avec une gâchette mais avec les mots, Wade tentant de corrompre celui qui le mène au train. Ce qui séduit bien évidemment dans le film, c’est l’ambiguïté que Daves parvient à conférer à ses personnages : Wade est un meurtrier totalement fascinant, qui a franchi la frontière entre le Bien et le Mal mais qui n’en est pas moins séduisant pour autant (voir la manière dont il séduit les femmes, y compris celle de Dan). Peu à peu, les règles de ce jeu psychologique semble évoluer, brouillant plus que jamais les notions trop tranchées de Bien et de Mal.

L’inquiétude née du compte à rebours sur lequel repose le principal ressort du récit (arriveront-ils à atteindre le fameux train ?) se double d’une inquiétude existentielle, gouffre qui s’ouvre soudainement sous les pieds de héros jusqu’à présent parfaitement sûrs de leurs valeurs et de leur morale.

Delmer Daves filme ce face-à-face dans un noir et blanc somptueux et rocailleux, dénué de tout « esthétisme » et embarquant le film aux confins d’un symbolisme archaïque. Je ne dirai rien du final bouleversant de l’oeuvre mais nous sommes alors projetés en plein cœur d’une fable qui remet en question toutes nos certitudes.

A sa manière, 3h10 pour Yuma est un véritable petit chef-d’œuvre à redécouvrir de toute urgence, selon la formule consacrée…

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