My blueberry nights (2007) de Wong Kar-Waï avec Norah Jones, Jude Law, Natalie Portman

 

Wong Kar-Waï aurait-il perdu son âme en partant aux Etats-Unis pour y tourner son dernier film ? C’est ce que semble suggérer une bonne partie de la critique qui a fait la fine bouche devant My blueberry nights et qui s’accorde à trouver ce film « mineur ». Je me souviens que lorsque est sorti 2046, j’ai entendu le même type de réserves (répétitions des mêmes thèmes, redites…) alors que l’évidence crève les yeux aujourd’hui (inutile d’attendre 20 ans !) : 2046 est un somptueux chef-d’œuvre. Je n’irai pas jusque là à propos de ce dernier opus et je suis prêt à accorder que ce n’est pas le meilleur film de Wong. Son charme n’agit pas forcément pendant toute la durée du métrage et certains passages peuvent paraître un peu ratés. Néanmoins, ce film mérite mieux que son accueil tiédasse et je suis quasiment sûr que ses sortilèges n’ont pas fini d’envoûter ceux qui le découvriront plus tard.

My blueberry nights est un road movie qui se décline en trois étapes. Première étape : la belle Elizabeth (Norah Jones, très bien) vient de rompre et confie ses chagrins d’amour à un barman (Jude Law), lui aussi marqué par ses amours défuntes.

Deuxième étape, Elizabeth décide de quitter New York pour un périple à travers l’Amérique. Elle devient serveuse à Memphis et croise le chemin d’un flic alcoolique qui ne se remet pas du départ de sa femme.

Troisième étape. Toujours en quête d’une voiture à acheter, Lizzie rencontre une joueuse professionnelle (Natalie Portman) à Las Vegas et nos deux demoiselles vont parcourir un petit bout de chemin ensemble.

Trajectoires croisées, amours brisés et mélancolie du temps qui passe : Wong Kar-Wai exporte, à première vue, son cinéma élégant et raffiné sans toucher aux obsessions qui le meuvent. Et le charme prend, notamment dans le face à face de ces deux cœurs blessés qui tournent l’un autour de l’autre mais que leurs passés respectifs semblent séparer. Comme dans le magnifique Les anges déchus, Wong Kar-Wai joue sur les ambiances nocturnes, sur les lumières crues des néons et l’atmosphère mélancolique des bars qui vont fermer. L’héroïne des Anges déchus attendait son « partenaire » devant un juke-box : ici, l’objet jouant sont ces clés que conservent précieusement le barman et qu’il refuse de jeter pour ne pas briser le dernier espoir qu’une porte s’ouvre enfin. Le cinéaste excelle à faire affleurer les sentiments les plus délicats sans les rendre directement explicites : tout semble possible (à l’image de ce merveilleux « baiser volé » par Jeremy lorsque Elizabeth dort) mais le temps semble également mettre des barrières, des « portes » entre les bulles de solitude qui englobent les personnages. Lorsque Wong Kar-Wai va jusqu’à reprendre le fameux thème musical d’In the mood for love (joué pour l’occasion à l’harmonica), le spectateur est sous le charme et l’émotion nous étreint.

Tout le film sera empreint de cette délicatesse, de cette approche sensorielle des émotions et des sentiments, de leur caractère éphémère. On se souviendra longtemps de ce moment où le flic empêche son ex-femme de sortir du bar et la menace d’un flingue : en filmant simplement une porte qui se referme, Wong Kar-Wai dit mieux que quiconque la fin d’un amour et le bris d’un cœur. De la même manière, on n’oubliera pas ces deux voitures qui prennent deux chemins différents : ce croisement met fin à la petite escapade de Leslie et Elizabeth, marquant une nouvelle fois l’éphémère des amitiés, des rencontres et l’impitoyable loi de ce temps qui nous sépare.

Je le concède : tout n’est pas de ce niveau dans ce film. Premièrement, en tournant aux Etats-Unis, Wong Kar-Wai leste son film d’un certain prosaïsme qui ne lui sied pas forcément. A Hong Kong, ses personnages étaient de véritables dieux et déesses, des « anges déchus » à qui il concoctait des écrins sublimes. Pour être tout à fait franc, ce n’est pas faire insulte aux qualités de jeu de David Strathairn que de dire qu’il n’a jamais la classe des flics chers à Wong (Cf. Tony Leung dans Chungking express) et que son accent de plouc yankee nuit un peu à ce cinéma aérien. De la même manière, la photographie criarde n’a jamais la perfection absolue de celle de Christopher Doyle. Ce ne sont que des détails mais le cinéaste semble un peu victime de cette « lourdeur » prosaïque et il s’encombre parfois d’un psychologisme pas très convaincant alors qu’il sait si bien faire passer l’indicible sans passer par le langage. 

Je pense que ce sont ces réserves qui ont échaudé la critique. Mais c’est oublier également le formidable traitement cinématographique que fait subir WKW à son histoire. Vous me direz que son « maniérisme » n’a rien de nouveau : ralentis, accélérés, jeux avec la lumière, les reflets… mais une fois de plus il fait merveille. Rien à voir avec une esthétique « publicitaire » gratuite mais une inimitable manière de greffer sa caméra sur le pouls d’une ville et de capter les « cendres » de ce temps qui s’enfuit.

Le dernier plan peut être vu comme une concession à la doxa hollywoodienne mais, entre-temps, le charme mélancolique et outrageusement romantique du cinéma de Wong, aura agi… 

 

PS : Je sais que ce n’est que pure vanité mais j’ai eu le plaisir de découvrir ceci (me voilà devant mes amis Vincent et Viera Souto !). Alors merci à tous ceux qui me lisent et me lient…

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