Mange tes morts (2014) de Jean-Charles Hue avec Jason François, Michaël Dauber, Frédéric Dorkel

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Je n’ai pas vu La BM du seigneur, le précédent long-métrage de Jean-Charles Hue, mais visiblement Mange tes morts – sans être à proprement parler une suite- lui permet de retrouver les personnages qu'il avait filmés quelques années auparavant.

 

Nous voilà donc propulsé dans un no man’s land dans la périphérie de Beauvais parmi une communauté yéniche, peuple nomade venu du centre de l’Europe. Fred sort de 15 ans de prison pour avoir tué un policier et il retrouve ses deux frères Michaël et le jeune Jason. En compagnie de Moïse, ces quatre lascars partent en virée pour voler un camion de cuivre…

 

Avec un sujet pareil, on pouvait craindre de voir Jean-Charles Hue se heurter aux deux écueils propres à un certain cinéma français. Le premier était celui de la complaisance folklorique avec le côté édifiant que cela peut supposer (nous sommes tous frères et nous allons nous réconcilier autour d’un morceau de guitare manouche). Or Hue évite scrupuleusement tout le folklore que peut charrier le monde gitan : pas de morceaux musicaux ici si ce n’est une horrible variété de karaoké et les personnages qu’il filme sont complexes et pas forcément sympathiques.

Le deuxième écueil était celui du misérabilisme et du naturalisme « à la française ». Rien de bien émoustillant à l’idée de passer une heure et demie dans l’Oise en compagnie de gitans brutaux et sans autre ambition que de faire des courses de bagnoles ou voler un peu de cuivre. Mais là encore, le cinéaste tire son récit vers d’autres horizons. Ca a déjà été beaucoup dit mais Mange tes morts lorgne plutôt du côté du western et du film noir que de la chronique étriquée.

Il est question ici de territoire à conquérir et d’un changement d’époque comme dans certains grands westerns. Lorsque Fred revient au camp, il n’est pas le bienvenu : la communauté a tendance à se sédentariser et à voir d’un mauvais œil ceux qui ne vivent pas d’un travail honnête. De son côté, l’ex-prisonnier reste un chien fou épris d’aventures et de petites combines louches.


Jean-Charles Hue filme très bien ce territoire et ce qui menace son équilibre (l’arrivée tonitruante dans le camp de Fred à bord d’une petite voiture lancée à toute allure). Par son sens du découpage, il nous fait ressentir tous les enjeux de ce retour du fils prodigue au bercail (les rivalités entre frères, l’absence du père, la valse-hésitation entre une certaine « morale » - un baptême se prépare- et un désir de liberté…)

On retrouvera cette dimension « western » dans la suite du récit même si on songe plutôt à un mélange improbable entre le film d’adolescents à la Fureur de vivre (la très belle séquence de la course en voitures) et au road-movie qui tourne mal avec gangsters en fuite (Les amants de la nuit de Ray, toujours !).

Tout cela pourrait en rester au stade des intentions s’il n’y avait chez Hue un vrai sens du cinéma. Je parlais plus haut de la précision de son découpage mais il faut également évoquer l’attention portée à la lumière qui offre aux spectateurs quelques plans d’une beauté stupéfiante.

De ces décors désolés de friches industrielles, de gares de triage, de boites glauques perdues au bord d’une anonyme départementale ; le cinéaste tire une vraie poésie urbaine. On songe parfois, et ce n’est pas un maigre compliment, à Element of crime de Lars Von Trier et ses lumières orangées.

A cela s’ajoute un vrai sens du rythme, de l’action, de la vitesse qui fait de Mange tes morts une indéniable réussite. Pourtant, en dépit de toutes ces qualités, je dois avouer que je n’ai pas totalement adhéré au projet. Je me retrouve devant un cas assez rare de l’œuvre dont je perçois bien toutes les vertus objectives mais qui, au bout du compte, ne me touche pas vraiment.

Je ne sais pas si c’est un choix délibéré de la part d’Hue (ni enjoliver, ni apitoyer) mais j’avoue que ses personnages ne suscitent, pour moi, ni sympathie, ni empathie. Sans doute est-ce un tort mais cet univers, ce langage, ces rites me laissent parfaitement indifférent.

Serge Daney disait que la grandeur du cinéma était justement de nous montrer des univers auxquels rien ne nous prédispose (il parlait des adolescentes à propos de 36 fillette de Breillat). L’occasion était donc belle de s’intéresser à cette communauté yéniche (je ne connaissais même pas ce terme) mais je n’arrive pas à déterminer ce qui manque, justement, pour m’intéresser à cette « bande de garçons ».

Peut-être des filles, justement, car Mange tes morts est un film beaucoup trop « masculin » pour véritablement m’accrocher, moi l’indécrottable truffaldien persuadé que le cinéma sert avant tout à « faire faire de jolies choses à de jolies femmes »…

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