Adieu Berthe (L'enterrement de mémé) (2012) de et avec Bruno Podalydès et Denis Podalydès, Valérie Lemercier, Isabelle Candelier, Pierre Arditi.

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Une scène onirique pour résumer au mieux Adieu Berthe. Après s'être disputé avec sa maîtresse (la diatribe de Valérie Lemercier est d'ores et déjà un morceau d'anthologie), Armand se voit coincé et « assassiné » par les deux femmes de sa vie (son épouse –l’excellente Isabelle Candelier- qu’il n’arrive pas à quitter pour la nouvelle femme qu’il aime –Lemercier, donc-). Il se relève alors qu’il se trouve en position fœtale et le spectateur découvre une empreinte au sol (celle de son cadavre) qui s’avère être celle…d’un enfant.

Tout Armand se trouve défini dans cette courte scène irréaliste : son caractère velléitaire, son indécision chronique, son incapacité totale à faire un choix, son immaturité d’éternel enfant.

La mort de cette grand-mère qu’il n’a finalement jamais connu va jouer le rôle de déclencheur. Classiquement, on aurait pu s’attendre à ce que Podalydès nous resserve le traditionnel couplet de l’homme qui devient enfin adulte après le choc d’un deuil. Il n’en est rien et c’est ce qui fait le (grand) charme d’Adieu Berthe : cette manière qu’a le cinéaste de jouer sur le retrait, la disparition et un art de la fugue (à tous les sens du terme) qui ne résout rien mais donne à ces situations en suspens une véritable force poétique et mélancolique tout en offrant une belle épaisseur à des personnages complexes.

 

Adieu Berthe apparaît aujourd’hui comme une synthèse réussie du cinéma des Podalydès : une comédie sentimentale centrée autour d’un personnage lunaire et indécis comme dans Versailles rive gauche et l’excellent Dieu seul me voit mais aussi une ode à la prestidigitation et à la magie dans la droite lignée du Mystère de la chambre jaune et du Parfum de la dame en noir (l’homme qu’aima Berthe ressemble étrangement au magicien Ballmeyer). Pour Armand, il s’agit de naviguer entre les aléas d’un quotidien ennuyeux (il est pharmacien et il subit la présence étouffante d’une belle-mère qui l’entretient) et ses rêves d’enfant (il peut, grâce à sa belle-fille, ressortir son attirail de magicien qui ne fait plus rêver depuis longtemps son adolescent). La beauté du film de Podalydès, c’est de ne pas opposer sommairement ces deux alternatives et de refuser de faire un choix. La mise en scène va épouser ce mouvement en jouant à la fois sur l’extrême quotidienneté des scènes (les trajets en trottinette de notre héros, les scènes à l’intérieur de la pharmacie) et le comique langagier (les lapsus d’Armand, les onomatopées, les monologues qui dérapent…) avant de bifurquer vers des passages beaucoup plus oniriques et un burlesque visuel qui rappelle parfois Tati (la très belle séquence chez l’entrepreneur de pompes funèbres futuristes où les personnages disparaissent –déjà !- dans un curieux et joli jeu d’ombres chinoises).

Ce mélange des genres confère au film un bel équilibre puisqu’il oscille parfois en direction d’un vrai mélodrame tandis que le personnage du « croque-mort » décontracté (interprété par le cinéaste lui-même) lui donne un côté de farce macabre (la scène du mulot mérite également d’entrer dans les mémoires !).  

 

Podalydès joue sans arrêt sur les décrochages et les tours de passe-passe. Son film est à l’image de  la malle des Indes de Berthe : plein de chausse-trappes et de double fonds. A ce titre, il faut citer la manière dont le cinéaste utilise (avec des codes couleurs spécifiques) les SMS que s’échangent régulièrement les personnages. Ces petits messages qui s’inscrivent à l’écran sont toujours à double sens et permettent au film de se terminer d’une splendide manière : sans rien résoudre et en élevant l’indécision et le refus de choisir au rang des beaux-arts.

 

Etrangement, j’écris cette note par bribes depuis plusieurs jours et je ne trouve pas grand-chose à dire. Je n’insinue pas que le film n’offre pas de nombreuses pistes de lecture mais son charme volatil vaut mieux que tous les mots (les miens, en tous cas) qui en réduiraient la portée. Podalydès parvient à toucher juste : nous faire rire sans pour autant négliger une certaine profondeur. Ses  personnages nous ressemblent avec ce que cela suppose de médiocrité, d’échecs (les grands enfants d’Armand avec qui il a coupé les ponts) mais aussi de grandeur et de beauté. Cette grandeur, le cinéaste va la chercher dans nos rêves d’enfant les plus enfouis. Pour Armand, cette passion pour la magie et l’escamotage est un moyen de ne pas choisir et de refuser la maturité. Comme le chantait Brel, il a eu le talent de devenir vieux sans devenir adulte. Parce que devenir adulte, c’est aussi savoir rester fidèle à l’enfant qu’on a été…

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