Abus de faiblesse (2013) de Catherine Breillat avec Isabelle Huppert, Kool Shen

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Plus personne ne l'ignore : Abus de faiblesse relate une mésaventure qui est réellement arrivée à Catherine Breillat. Victime d'une hémorragie cérébrale qui la laisse hémiplégique mais maîtresse de toutes ses facultés intellectuelles, une cinéaste souhaite engager un célèbre escroc pour lui donner le rôle principal de son prochain film. Mais très vite, l'homme va profiter de la situation et lui faire signer de nombreux chèques à son profit.

La première scène est intrigante : Maud (Isabelle Huppert) émerge d'un océan de draps blancs et fait son attaque. Le caractère glacial de ce moment rappelle alors la superbe stylisation de Romance et tous les espoirs sont à nouveau permis (car depuis Sex is comedy, Breillat n'a jamais totalement réussi un film).

De plus, les thèmes du film pouvaient s'inscrire dans la droite lignée des grandes œuvres de la cinéaste : la dépossession de soi, l'attirance pour les « mauvais » garçons, le désir, les rapports dominé/dominant dans une relation passionnelle... Avec cette nouveauté qui aurait pu être passionnante puisque la cinéaste devient elle-même le personnage principal de son propre cinéma.

Mais c'est là que le bât blesse très rapidement. En effet, Catherine Breillat ne parvient pas à prendre de distance par rapport à son anecdote et se contente de filmer avec une rare platitude des situations que le spectateur devine « réelles ». Mais ce naturalisme empêche le film de décoller vers une dimension plus ambiguë, plus opaque.

 

Ça commence avec les scènes à l’hôpital qui, à mon avis, auraient mérité d'être éludées. D'une part, parce qu'elles n'apportent pas grand chose au récit dans la mesure où la cinéaste ne cherche jamais à apitoyer sur son sort. D'autre part, parce qu'elle incite Isabelle Huppert à jouer la carte de la « performance ». On va me dire que je chicane mais, au détour d'un plan, il y a ce moment assez gênant où l'actrice tord ostensiblement la bouche alors que son visage était parfaitement serein une seconde avant. Comme si elle réalisait qu'elle avait oublié de souligner par son jeu son infirmité. Enfin, dans cette description de la maladie et du handicap, il y a parfois chez Breillat une tendance à suivre les pas de Haneke pour « sadiser » ses personnages (les notations peu ragoûtantes sur les couches d'une vieille dame, la séquence où Maud chute...) que je ne trouve pas très intéressante.

 

Mais ce qui fonctionne le moins bien, c'est cette manière qu'a la cinéaste de refuser tout abandon. Qu'est-ce qui a poussé cette femme à succomber aux charmes d'un petit escroc minable ? D'emblée, il est évident que l'homme est un arnaqueur sans envergure ni charisme (Kool Shen est d'ailleurs assez fade dans le rôle) et l'on ne comprend pas pourquoi cette femme intelligente tombe dans son piège. Que Breillat cherche à éviter les explications trop évidentes (le handicap, la solitude...) est tout à son honneur. En revanche, on aurait aimé qu'elle suggère quelque chose qui ait trait avec la passion, la fascination or jamais on ne ressent cette dimension. Piquée d'avoir été arnaquée (on le serait à moins!), elle n'offre aucune chance à ce « couple » improbable d'avoir une existence à l'écran. L'escroc est d'emblée une petite frappe sans intérêt et Maud est toujours sur la réserve en conservant un certain mépris pour Vilko, tentant même de transformer sa faiblesse en force (ces moments où elle l'utilise comme un « esclave » et lui fait mettre ses bottes).

Jamais Maud ne s'abandonne à cette relation, quelle qu'en soit sa teneur (amitié ? Amour ? Désir?...). Le film reste à la surface des choses et se contente de séquences assez répétitives (la ronde des chèques, les retours de Vilko, ses mensonges...) sans parvenir à trouver une distance par rapport à l'anecdote et à trouver une certaine stylisation qui permettrait à la cinéaste de créer de véritables personnages de cinéma.

Seul le plan final, bergmanien, est magnifique parce que le visage d'Isabelle Huppert saisi en gros plan révèle soudain les gouffres de cette histoire de dépossession. Son désarroi est alors vertigineux et l'on regrette que le film n'ait jamais été à la hauteur de ce trouble, de cette opacité...

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