A travers l’univers (2005) de Gérard Courant

 pasmal.jpg

J’étais parti hier pour aller voir Mother mais le hasard a voulu que je rencontre des amis sur le chemin et j’ai manqué la séance (la dernière, qui plus est !). Du coup, j’ai pioché dans ma pile de DVD de Gérard Courant et je vous propose une nouvelle note sur ce cinéaste (après tout, si vous voulez des informations sur Avatar, allez lire les 12000 blogs voisins du mien ou achetez Première !)

Il est entendu depuis Malraux que le cinéma est à la fois une industrie (Cf. Le film de Cameron déjà cité) et/ou un art. Mais on oublie aussi qu’il peut être un instrument « scientifique ». Jean Painlevé utilisa très tôt la caméra comme moyen d’observation des espèces sous-marines et des gens comme Marcel Griaule ou Jean Rouch en firent un instrument d’études ethnologiques lors de leurs expéditions chez les Dogons. 

Avec A travers l’univers, Gérard Courant fait œuvre de géographe et topographe autant que de cinéaste. Son film est le troisième volet d’une série consacrée à ses « villes d’habitation » (le premier était consacré à Saint-Maurice dans le Val de Marne et le second au quartier de la Croix-Rousse à Lyon). Il s’agit ici d’un inventaire de toutes les rues (124) et places (17) de la ville de Saint-Marcellin dans l’Isère (entre Grenoble et Valence).

Après un plan sur la plaque d’indication de la rue ou de la place, Courant renoue avec la « vue Lumière » en proposant un plan fixe et large d’une vingtaine de secondes de chacune desdites rues ou places.

Le résultat est assez fascinant, même pour quelqu’un qui n’a jamais mis les pieds à Saint-Marcellin.

Fascinant parce qu’on retrouve cette tension entre un dispositif fort et « artificiel » et cette place offerte au hasard, à l’inconnu où peut s’engouffrer ce que l’on cherche à nommer tant bien que mal le « Réel ».

Car il faut préciser que le film dresse l’inventaire de ces rues en ordre alphabétique. Du coup, la spatialisation est totalement faussée et on aura du mal à dresser un « plan » de la ville après avoir vu le film. En revanche, cette juxtaposition de « vues » créée une impression assez semblable à celle que l’on peut avoir en découvrant les « cinématons » : un sentiment de voir se répéter les choses avec, à chaque fois, une légère différence qui fait tout l’intérêt du dispositif. Ainsi, nous passons de rues offrant des perspectives majestueuses sur les Alpes à de grands boulevards extérieurs anonymes où seules les voitures semblent avoir droit de cité ; d’une artère de centre-ville ressemblant à toutes les rues principales de toutes les villes de France à des petits chemins campagnards isolés qui nous projettent dans un autre monde.

Chaque vue aiguise l’œil du spectateur qui l’appréhende de manière globale ou qui va se perdre dans un petit détail (le vent dans les arbres, le visage d’un promeneur…). Courant laisse son dispositif « ouvert » et ne cherche jamais le pittoresque : certains plans sont presque vides tandis que d’autres regorgent de mouvements divers jusqu’à « l’accident » (des jeunes qui disent bonjour au cinéaste, un passant qui obstrue le champ en passant très près de la caméra…).

Dans sa répétition même, le dispositif permet de se concentrer sur mille choses différentes : parfois, c’est l’architecture ou la lumière, d’autres fois, le mouvement ou le son. Par exemple, il est notable que certaines « vues » sont totalement saturées au niveau sonore par le brouhaha des voitures tandis que d’autres frappent par leur silence ou les bruits divers de la nature (j’aime beaucoup ce plan où l’on n’entend que les cigales, comme si nous étions soudainement projetés dans le Midi de la France).

Si A travers l’univers touche aussi, c’est que Gérard Courant n’a pas choisi cette ville par hasard. Sa série est consacrée aux villes où il a habité et celle-ci est celle de son enfance (j’espère qu’un film consacré à Dijon verra le jour !). Lorsque débute au générique de fin la déchirante chanson Mon enfance de Barbara (c’est à Saint-Marcellin que la famille de la chanteuse se réfugia pendant l’occupation), on réalise que le projet de Courant est à la fois de fixer des instants du présent mais également de retrouver des traces du passé, de sa propre enfance.

Ce que ce projet pourrait avoir de purement « objectif » voire « scientifique » (pour reprendre mon idée de départ) se charge d’une émotion subjective (tous les films de Courant relèvent, d’une certaine manière, du « journal intime ») qui fait le prix de cette œuvre étonnante…

 


Retour à l'accueil