Détective bureau 2.3 (1963) de Seijun Suzuki avec Joe Shishido (Éditions Elephant films) Sortie le 2 décembre 2014

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A l'occasion d'une salve de titres diffusés autrefois sur le câble, j'avais pu découvrir enfin l'univers de Seijun Suzuki, artisan trop méconnu de la Nikkatsu qui réalisa de nombreux films de genre (en particulier des films de gangsters) avant de se faire congédier par les studios au moment de la sortie de La marque du tueur, son chef-d’œuvre. Mais depuis sept ou huit ans, impossible de croiser à nouveau le chemin du cinéaste japonais (les aléas de la vie du cinéphile de province).

Ce fut donc une excellente nouvelle d'apprendre que les éditions Elephant Films ressortaient aujourd'hui trois titres de Suzuki dans des copies Blu-Ray de toute beauté. Parmi ces trois œuvres, Détective bureau 2.3 était la seule que je n'avais jamais vue.

Quand il entreprend ce film en 1963, Suzuki a déjà une bonne trentaine de longs-métrages à son actif mais pour la première fois, sauf erreur, il travaille avec Joe Shishido qui va devenir par la suite une des figures emblématiques de son cinéma.

Le scénario met en scène, une fois de plus, des bandes rivales de Yakuzas qui cherchent à éliminer un homme que la police s'apprête à relâcher (on le soupçonne d'être un traître à l'origine de sanglantes fusillades). Le détective Tajima, sous une fausse identité, parvient à aider le prisonnier et à le cacher. En échange, il lui demande de l'introduire auprès de ses chefs afin d'infiltrer l'organisation criminelle à l'origine de tous ces crimes...

 

Sans aller plus loin dans la description des péripéties de ce film de gangsters, on aura compris que Détective bureau 2.3 relève d'une pure tradition de « série B » qui exista aussi au Japon, sur le même modèle que celui des studios américains. A partir des années 60, la Nikkatsu vise surtout un public jeune et lui offre ce qu'il recherche : de l'action, de la violence, des héros charismatiques et une certaine imagerie « pop » (musique jazzy, scènes de night-club...).

Si Suzuki va parvenir à s'imposer aux yeux des cinéphiles du monde entier (au point que Jim Jarmusch lui rendra un hommage appuyé avec Ghost Dog, la voie du samouraï), c'est qu'il imprime aux récits stéréotypés qu'il filme un style assez unique.

 

Détective bureau 2.3 témoigne de ce style singulier : narration heurtée, sécheresse du montage, univers bariolé où domine les couleurs jaunes et rouges (certaines séquences témoignent d'une remarquable attention à la lumière) et excès baroques. Mais ce qui séduit le plus, c'est sans doute la dimension « anarchiste » de l’œuvre.

Tajima travaille pour la police mais c'est un individualiste qui n'hésite pas à franchir les frontières de la légalité pour arriver à ses fins. Du coup, ce personnage qu'interprète brillamment Joe Shishido est une sorte de chien dans un jeu de quilles qui ridiculise à la fois la flicaille et les truands présentés ici comme de sombres crétins ou, éventuellement, des impuissants.

Charles Tesson le souligne à juste titre dans le supplément du disque : il n'y a chez Suzuki aucune fascination pour le folklore yakuza et pour les codes d'honneur des gangsters. Ce qui l'intéresse, c'est de détruire passionnément tout ce qui ressemble de près ou de loin à une règle. De cette manière, le film bifurque parfois de manière étonnante : alors que le spectateur se demande si Tajima va se faire démasquer, par exemple, et que nous sommes en plein suspense de film policier, notre héros retrouve une de ses anciennes conquêtes et monte sur scène pour effectuer un petit numéro musical chatoyant avec elle !

 

Avec Suzuki, le mythe du yakuza est mis à mal et c'est une atmosphère bouffonne qui l'emporte. Le cinéaste se plaît à railler la virilité du gangster japonais en montrant que ce goût pour les armes masquent une véritable impuissance sexuelle. Détective bureau 2.3 n'est sans doute pas son film le plus abouti mais il contient par bribes la flamboyance et la folie qui font le prix du cinéma de Suzuki...

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