Hara-kiri (1962) de Masaki Kobayashi (Editions Carlota Films)

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Il est de tradition, lorsqu'on se pique d'analyser les films, de toujours commencer par un petit topo sur l'auteur de l’œuvre. Il se trouve qu'aujourd'hui, la tâche est compliquée dans la mesure où Masaki Kobayashi est un cinéaste à part. D'un côté, il fut un réalisateur primé aussi bien à Cannes qu'à Venise et il est resté dans les mémoires des cinéphiles comme l'auteur du film-fleuve La condition de l'homme (qui dure plus de neuf heures). De l'autre, on ne peut pas dire que son œuvre ait été beaucoup analysée et qu'elle fasse encore référence. Ce relatif oubli du cinéaste vient peut-être aussi de son caractère inclassable : d'un côté, il débute dans les années 50, travaille avec le scénariste des Sept samouraïs de Kurosawa et s'inscrirait donc dans un certain « classicisme » japonais. De l'autre, le caractère assez novateur de ses mises en scène, la violence exacerbée de son cinéma (assez frappante dans Hara-kiri) et son côté contestataire aurait pu le faire ranger du côté des jeunes gens en colère de la « nouvelle vague » japonaise (Oshima, Yoshida, Imamura...).

 

Toujours est-il que les éditions Carlotta ont aujourd'hui la bonne idée de rééditer ce Hara-kiri qui me permet de découvrir mon premier Kobayashi.

La première chose qui séduit dans ce film grave et dur, c'est sa construction narrative. Le film se situe au XVIIesiècle, à une époque où le Japon féodal se trouve pacifié après une longue période de guerres. Du coup, de nombreux samouraïs se retrouvent sans maîtres et viennent quémander des aumônes. L'un de ces rônin, Hanshiro Tsugumo, vient frapper un beau jour à la porte du clan des Li.

Pour des questions d'honneur, il demande à l'intendant du clan la permission de se suicider dans la résidence. Celui-ci cherche d'abord à l'en dissuader en lui racontant une histoire semblable...

 

A partir de ce face-à-face en lieu clos, Kobayashi construit son récit grâce à une série de flash-back qui raconte l'histoire de deux rônin aux destins liés. Très vite, ce que l'on a pu penser être un traditionnel film de guerriers et de sabres se métamorphose en une tragédie hiératique mais d'un hiératisme d'une intensité et d'une puissance rares. Comme souvent chez les grands cinéastes japonais, Kobayashi joue à merveille avec les lignes géométriques et épurées de son décor pour bâtir une mise en scène stylisée s'approchant peu à peu du cœur du drame.

La structure éclatée du film (le scénario est signé Shinobu Hashimoto à qui nous devons le script de Rashomon de Kurosawa) permet au cinéaste de révéler peu à peu les enjeux d'un face-à-face entre deux hommes que tout oppose : l'un représente le Japon féodal et son code d'honneur archaïque ; l'autre est le chant de la révolte qui gronde dans la gorge des opprimés : il utilise les us et coutumes des samouraïs pour en montrer le caractère absurde (« ce n'est qu'une façade », s'écrie-t-il).

 

Du coup, ce que le film pourrait avoir de daté et de compliqué pour un spectateur peu familier de l'Histoire du Japon et de sa culture devient rapidement universel. Bien sûr, il s'agit pour Kobayashi de montrer l'effondrement d'un système social et de sa hiérarchie. A travers le rônin, figure du guerrier déchu, il souligne le passage d'une époque historique à une autre et la fin d'un système criminel.

Mais d'une manière plus générale, il se focalise sur les excès du Pouvoir et sur l'absurdité de conventions sociales archaïques. Une fois de plus, c'est par la mise en scène et non par le discours que passent ces idées. Hara-kiri est un film extrêmement ritualisé, ou la splendeur géométrique des plans est soudainement mise en péril par des explosions de violence assez impressionnantes même aujourd'hui (je recommande la scène de « seppuku » avec un sabre...en bois!). Le film se termine d'ailleurs par de véritables combats de sabres relevant plus du drame shakespearien que des classiques du chambara.

 

Mais c'est sans doute là que réside la force d'Hara-Kiri : allier splendeur formelle intimidante et codes du cinéma de genre ; les atours d'un certain cinéma « historique » et une réflexion sur le Pouvoir qui n'a pas pris une ride...

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