La rose pourpre du Caire (1985) de Woody Allen avec Mia Farrow, Jeff Daniels, Diane Wiest

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Ce n'est pas sans une certaine appréhension que j'ai revu La rose pourpre du Caire. Non pas que l'idée de voir un Woody Allen soit un calvaire (au contraire, j'ai pris un grand plaisir à revoir récemment Harry dans tous ses états et Le sortilège du scorpion de jade) mais cet opus précis représente avant tout un souvenir étincelant de ma jeunesse cinéphile. Du coup, j'ai eu un peu peur de « l'abîmer » en le revoyant.

C'est d'autant plus vrai que La rose pourpre du Caire constitue une sorte de « sommet » dans la carrière de Woody Allen mais un « sommet » paradoxal : il est à la fois considéré par certains comme l'un de ses meilleurs films des années 80, parfaite représentation de ses obsessions et quintessence de son art.

D'autres, au contraire, le considèrent comme vieillot et moins percutant que ses œuvres plus « contemporaines ».

Même si je dois reconnaître que la magie du film a un tout petit peu moins opéré qu'à la première vision, je n'ai pas été déçu.

 

Pour les plus jeunes de mes lecteurs, je pense qu'il est bon de rappeler que l'action du film se situe en Amérique, pendant la grande Dépression. Cécilia (Mia Farrow) tâche de rapporter de l'argent au foyer puisque son mari chômeur passe son temps à le perdre au jeu et dans la boisson.

Woody Allen nous plonge quasiment dans un mélodrame misérabiliste avec cette pauvre jeune femme maltraitée par un mari brutal et licenciée sans ménagement par son employeur.

Mais il y a le cinéma.

Cécilia passe tout son temps libre dans les salles obscures jusqu'au jour où la vedette du film La rose pourpre du Caire l'interpelle directement et sort de l'écran pour la rejoindre...

 

L'idée est toute simple mais Woody Allen parvient à l'exploiter de fort belle manière. D'un côté, il joue à merveille des mécanismes comiques de la situation. Les acteurs du film (en noir et blanc) se trouvent dépités et ne savent plus quoi jouer, le public s'échauffe et veut être remboursé, le producteur du film et l'acteur qui a créé le personnage commencent à s'inquiéter du scandale possible...

L'autre ressort comique du film, c'est l'inadaptation de ce personnage fictif à la réalité. Aventurier de pacotille, Tom Baxter arbore sans arrêt un grand sourire naïf (ce n'est pas pour rien que Jeff Daniels deviendra l'un des deux benêts de Dumb and dumber des frères Farrelly!) et vit dans un monde sans aucune pesanteur : il paye avec de faux billets et attend qu'un fondu enchaîné vienne conclure le baiser qu'il vient d'échanger avec Cécilia !

 

C'est là sans doute que se situe la grande habileté de Woody Allen et son talent unique de conteur : même intégré à la réalité, le personnage de Tom reste une chimère, un fantasme, une « projection ». Il faut le voir au milieu d'un bordel (où l'on reconnaît la magnifique Diane Wiest) : toutes les prostituées finissent par tomber en pâmoison devant cet extra-terrestre qui n'est que bons sentiments.

En le préservant ainsi de la réalité, le cinéaste évite justement le sentimentalisme gluant. Jamais Tom n'a l'étoffe d'un véritable « personnage » et il n'est même peut-être que le fruit de l'imagination de Cécilia et de son désir d'évasion. Et le récit de glisser alors vers ce thème qui hante le cinéma de Woody Allen : l'art, le spectacle et l'illusion sont forcément plus beaux que la réalité. Comme le couple du Sortilège du scorpion de jade qui vit sous hypnose une existence beaucoup plus palpitante et « romantique » que ce que leur accorde le quotidien, Cécilia se fait hypnotiser par un magicien appelé « cinéma ».

La scène où Mia Farrow se détache peu à peu de ses soucis et de sa tristesse pour se laisser captiver par Fred Astaire et Ginger Rogers dans Top hat est l'une des plus belles qu'ait jamais tourné le cinéaste. Parce qu'elle renvoie directement à l'idée que Woody Allen développait déjà dans Annie Hall, sur le divan de son psychanalyste : l'art console de la vie et de son absurdité.

Pour lui, il ne s'agit pas de montrer que la vie pourrait être aussi belle que l'Art (ce qui serait assez gnangnan et moralisateur) mais de montrer comment l'Art peut aider à accepter l'absurdité de l'existence (il y a une scène très drôle où Tom Baxter ne comprend pas le concept de « Dieu » et pense que Cécilia lui parle du metteur en scène ou du producteur).

 

La rose pourpre du Caire n'est donc pas une publicité béate plaidant en faveur de la « magie du cinéma ». Il s'agit, au contraire, d'un film sinon pessimiste, du moins très mélancolique puisque tout ce qui se passe sur l'écran est très clairement désigné comme illusoire.

 

Mais si cette illusion peut être cruelle (la « vraie » vie ne sera jamais comme ça), rien n'empêche pourtant de succomber à son charme envoûtant et à ses reflets trompeurs...

Au contraire...

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