Faust (2011) d'Alexandre Sokourov avec Johannes Zeiler, Anton Adasinskiy, Hanna Schygulla

 pasmal.jpg

Je connais très mal l'œuvre de Sokourov et si j'avais été assez impressionné par Mère et fils, je dois aussi reconnaître que des films comme Père et fils et Confession d'un capitaine sont classés dans ma mémoire au rayon des pensums soporifiques.

Découvrir Faust m'a permis de me confronter à nouveau à cette œuvre qui ne laisse pas, selon la formule consacrée, indifférent et au cinéma d'auteur des pays de l'est en général.

Ayant l'honneur d'être membre du jury d'un prix littéraire (c'est d'ailleurs pour cette raison que je n'ai pas encore eu le temps de vous parler des Images secondent de Ludovic Maubreuil mais je peux d'ores et déjà vous le recommander chaleureusement); je lisais il y a peu le roman Purge de Sofi Oksanen et je me suis surpris à penser que je retrouvais dans cette œuvre tout ce qui m'agace chez des gens comme Mungiu, Haneke ou même Bela Tarr. Ces artistes abordent de « grands » sujets (souvent intimidants : l'Histoire, la Mort, le Mal...) et ils ont indéniablement du talent. Mais ils ont atteint une telle maîtrise de leurs effets que le spectateur (ou le lecteur) se trouve totalement asphyxié (par la rigueur, les symboles, etc.)

 

En s'attaquant au mythe de Faust (après le chef-d'œuvre insurpassable de Murnau), Sokourov met un terme à sa tétralogie jusqu'alors consacrée aux dictateurs du 20ème siècle : Moloch sur Hitler, Taurus sur Staline et Le soleil sur HiroHito. Il sera donc une fois de plus question du Mal (le pacte signé dans le sang avec Méphistophélès) et d'un mortel possédé par le désir de rivaliser avec Dieu (il recherche le secret de la vie et de l'âme en disséquant les cadavres).

 

Comme chez Bela Tarr, la forme est absolument splendide. S'appuyant sur un magnifique format 1.33, Sokourov compose ses plans comme un peintre accouche d'un tableau. Chaque image est une splendeur et rend hommage à la grande peinture du passé. On pense aussi bien à Vermeer (et à son Astronome) qu'aux clairs-obscurs de Rembrandt ou aux eaux-fortes de Dürer (la séquence d'ouverture est assez éprouvante). Le cinéaste joue aussi avec les anamorphoses, les filtres (le film baigne dans des teintes sépia, vert-de-gris ou, au contraire, les blancs incandescents) et nous stupéfie littéralement en nous offrant des séquences d'une beauté à couper le souffle (ce passage sublime où Faust et Marguerite sont emportés par un courant d'eau).

Ce qui séduit également dans Faust, c'est la manière qu'à le cinéaste d'éviter, contrairement à ses petits camarades déjà cités, le « monumental ». Si la mise en scène est extrêmement élaborée, elle n'est pas totalement verrouillée. Au contraire, le cinéaste fuit souvent la pesanteur du mythe pour offrir une version extrêmement triviale de l'œuvre de Goethe. Comme le dit fort bien l'ami Timothée (voir son excellente critique ici), Sokourov envisage moins le pacte avec le Diable comme un abandon total du personnage au Mal que comme une sorte de compagnonnage désinvolte. Du coup, c'est la dimension grotesque et bouffonne qui semble l'emporter : le Diable est changé ici en usurier au corps monstrueux et il accompagne Faust dans ses déambulations.

Le film accompagne ce mouvement et se compose d'une succession de tableaux jamais figés puisque tout ce petit monde palabre, disserte, se bouscule, mange, pète, boit et tue à l'occasion. D'une certaine manière, on est parfois plus proche de la démesure baroque d'un Fellini que de l'ascèse qu'on prête aux films venus de l'Est.

 

Toutefois, Sokourov n'est pas parvenu à me convaincre totalement. Si asphyxie il y a, ce n'est pas tant à cause de la forme que d'un trop-plein à l'intérieur même du cadre. A l'opposé du mutisme du Cheval de Turin, Faust est un film bavard qui joue sur l'accumulation : accumulation de personnages dans le cadre (le docteur et son compagnon semblent vivre sans arrêt sous le regard des autres), accumulation d'actions parfois confuses et surtout, accumulation de symboles et de dialogues à visée philosophique et/ou métaphysique.

Tout cela est à la fois passionnant mais, convenons-en, un peu épuisant. Au point que l'on décroche parfois tant le récit ne semble obéir qu'aux aléas du chaos.

Une fois de plus, la beauté du style ne fait pas totalement oublier le caractère aride et étouffant du propos. Faust est un film tellement riche qu'on peut supposer que personne n'arrivera totalement au bout des multiples interprétations qu'il suscite.

C'est sans doute ce qui fait sa grande qualité mais qui, je le confesse humblement, m'a un peu laissé sur ma faim...

Retour à l'accueil