Le sang des vierges
Comtesse Dracula (1970) de Peter Sasdy avec Ingrid Pitt. (Editions Elephant films). Sortie Mai 2014
Une fois de plus, le titre du film est un peu trompeur dans la mesure où il n’est jamais question de vampirisme et de Dracula dans ce film. Néanmoins, en suivant un raisonnement un peu tiré par les cheveux, on peut trouver une explication à ce choix. Le film de Peter Sasdy revisite le mythe d’Erszébeth Bathory, cette fameuse « comtesse sanglante » réputée pour sa cruauté. Elle aurait, du temps de son règne, torturé et massacré plus de six cents jeunes filles et se serait baignée dans leur sang. Si le personnage a réellement existé, la légende l’entourant a vite enflé pour inspirer de nombreux récits et imprégner l’imaginaire collectif.
Parmi les œuvres qu’elle aurait inspirées, on trouve le Carmilla de Sheridan Le Fanu qui fut par la suite une source d’inspiration directe pour Bram Stoker lorsqu’il écrivit son Dracula.
A part cette filiation indirecte, on ne trouvera dans le film de Peter Sasdy aucune allusion au « prince des vampires ».
Suite à un accident, la comtesse Elisabeth Nadasdy découvre que le sang de sa jeune servante provoque chez elle la faculté de rajeunir. Profitant de cette aubaine, elle se fait passer pour sa propre fille et séduit un jeune et ambitieux lieutenant. Malheureusement, sa jeunesse retrouvée n’est que de courte durée et il lui faudra beaucoup de sang pour reconquérir sa beauté d’antan…
Réalisé par Peter Sasdy, Comtesse Dracula est le deuxième film du cinéaste (après Une messe pour Dracula et avant La fille de Jack l’éventreur) tourné pour la Hammer. Son film s’inscrit dans la lignée de l’épouvante gothique qui fit la réputation de la firme avec ce petit supplément de violence et d’érotisme que l’on voit apparaître au début des années 70 au moment où le genre commence à s’essouffler.
Pourtant, la tradition Hammer est respectée : soin apporté à la direction artistique (la photo est très belle, les décors sont somptueux…), dépoussiérage des mythes du fantastique, attention toute particulière aux atmosphères lugubres… Sans être particulièrement novatrice (Les sévices de Dracula était plus percutant de ce côté), la mise en scène de Comtesse Dracula est soignée et le film dans son ensemble mérite mieux que le mauvais accueil qu’il reçut au moment de sa sortie. Et tout ce qu’il peut avoir d’un peu mollasson (reconnaissons-le) est compensé par la magnifique prestation d’Ingrid Pitt. La comédienne endosse avec panache la défroque de la comtesse sanglante et le moment où elle se fait surprendre dans son bain avec une grosse éponge gorgée de sang est d’ores et déjà mythique. Mais alors qu’elle aurait pu sur-jouer la cruauté proverbiale de son personnage, elle l’entraîne vers des rivages plus inédits, faisant de cette jeune femme une héroïne romantique éprise d’absolu. Malgré ses actes terribles, ce qu’on retient d’elle sont les sentiments qu’elle éprouve pour le jeune officier et son désir de lier son destin au sien. Ingrid Pitt, visage d’ange et corps de rêve, offre une certaine « innocence » juvénile à la comtesse qui papillonne comme une adolescente sur son petit nuage après un premier rendez-vous galant.
Alors qu’elle n’hésite pas à commettre les pires crimes et à faire enlever sa propre fille, la comtesse garde toujours un côté presque touchant. Le fait que la violence et l’érotisme restent assez édulcorés (même si le film est plus « direct » et moins suggestif que les classiques des années 60 de la Hammer) n’est sans doute pas étranger à ce sentiment.
Sans compter parmi les chefs-d’œuvre de la grande maison Hammer, Comtesse Dracula est un film tout à fait honorable, confectionné avec soin et porté par la grâce et la beauté d’une merveilleuse comédienne.