A l’aventure (2008) de Jean-Claude Brisseau avec Carole Brana, Arnaud Binard, Nadia Chibani, Lise Bellynck

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Je découvre enfin la dernière œuvre en date de Jean-Claude Brisseau qui n’était pas sortie sur nos écrans provinciaux. La première chose qui frappe en voyant A l’aventure, c’est la manière dont le cinéaste semble reprendre tous les thèmes qui l’obsèdent depuis ses débuts en les traitant d’une manière à la fois apaisée et épurée. Si Les anges exterminateurs était un beau film d’autojustification plutôt agressif (il n’était pas que cela, bien entendu), A l’aventure est l’œuvre d’un homme serein dont l’alter ego est bien évidemment le personnage interprété magnifiquement par Etienne Chicot, Diogène contemporain vivant à l’écart des normes et conspuant le conformisme ambiant.

C’est cet anarchiste mi-philosophe, mi-clochard que rencontrent dans un premier temps Sandrine et son amie, tandis qu’elles discutent tranquillement sur un banc public et que la première confie à l’autre son insatisfaction dans son couple et sa vie professionnelle. L’homme qui soudainement fait tomber les masques sociaux et démontrent à quel point les rôles de chacun sont truqués et faux est bien évidemment une projection du metteur en scène prêt à repartir pour une exploration du désir féminin et de ses mystères (comme dans le superbe Choses secrètes). Il le fait cette fois avec une sorte de distance que traduit fort bien cette relation « père-fille » entre l’homme et Sandrine, relation d’où le désir semble absent (à l’inverse de Noce blanche). Parallèlement, sa quête du plaisir féminin rejoint ici une sorte de mysticisme qu’on trouvait déjà dans le très beau et mésestimé Céline. Chez Brisseau, l’orgasme devient extase et se rapproche de ces états de transe décrits par les grandes mystiques.

C’est ce chemin vers des états inconnus que le cinéaste tente d’arpenter. Au départ, il y a le rejet et l’insatisfaction. Rejet d’une vie petite-bourgeoise confortable, du carcan du couple et des soirées passées devant la télévision. Il y a également l’insatisfaction de Sandrine qui simule le plaisir avec son mari et qui part se caresser en cachette.

La jeune femme décide alors d’appliquer le mot d’ordre des surréalistes : « lâchez tout ! ». Elle quitte mari et boulot et couche avec un bel inconnu rencontré dans un café. Gregory est psychiatre et va l’entraîner, par divers moyens, sur les chemins du plaisir…

 

Dès lors, A l’aventure avance selon un rythme binaire que nous schématiserons de la sorte. D’un côté, de longues scènes dialoguées où les personnages, comme chez Rohmer, expliquent leurs faits et gestes et analysent sans arrêt leurs comportements, leurs désirs. De l’autre, des tableaux érotiques magnifiquement composés qui tentent d’appréhender les mystères de la chair et du plaisir féminin (Sandrine déclare à Greg : « Vous autres les hommes, vous ne pouvez pas savoir ce que c’est bon). La beauté de ces séquences tient à la manière dont Brisseau les organise comme de véritables cérémonies secrètes et sensuelles. Ces longs plans-séquences sont toujours filmés en demi ensemble et la caméra effectue de lents mouvements qui semblent caresser ces corps jamais les « découper ».

Encore une fois, ceux qui persistent à comparer les derniers Brisseau avec les téléfilms érotiques de M6 me semblent d’une mauvaise foi sans égale ou totalement aveugles. Jamais le cinéaste des Savates du bon Dieu n’insiste sur les détails des corps de ses modèles (et quelles modèles ! Mon Dieu que ces filles sont belles !) pour privilégier une vision d’ensemble avec un véritable regard de peintre (comme toujours, il y a chez lui un magnifique travail sur la lumière). En ce sens, il parvient à épouser un point de vue qui me paraît, peut-être un brin caricaturalement, féminin en ce sens qu’il n’y a pas de pulsion scopique dans ce cinéma (comme chez Truffaut où le corps féminin est véritablement fétichisé, idolâtré et sans arrêt découpé par le cadre) mais une volonté de saisir le mystère des corps dans son ensemble. Comme certains films de Breillat, nous dirons volontiers qu’A l’aventure est moins un film érotique qu’un grand film « cru ». Mais la crudité de ce cinéma s’allie volontiers ici (et beaucoup plus que dans ses films précédents) avec un véritable sens de l’élégie qui éclate magnifiquement dans ces séquences où Sandrine et son « professeur » s’échappent du côté de la campagne et prennent le temps de méditer sur leur propre condition face à l’immensité de la nature.

Elégiaque est aussi cette quête du plaisir que ces jeunes femmes vont connaître par le biais de la parole, de l’hypnose et de la mise en scène de jeux érotiques. Ces mots ne sont pas innocents et pourraient définir parfaitement LE cinéma. En ce sens, A l’aventure est également l’histoire d’un cinéaste qui se filme en grand ordonnateur de cérémonies et qui cherche, par le biais de son art, à ouvrir des portes jusque là inconnues.

Même si les moyens utilisés peuvent paraître parfois trop « intellectuels » (pour le coup, Brisseau n’a jamais été aussi proche de Rohmer lorsqu’il laisse ses personnages digresser autour de la psychiatrie, de la psychanalyse, de la vitesse de la lumière et du son) mais qui finalement reviennent à un questionnement proche de celui d’un enfant qui découvre le monde et les mystères de l’infini.

Et pour le cinéaste, c’est à travers l’énigme du plaisir féminin qu’il parvient à approcher de ces mystères de l’univers, de cet infini…     

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