Solo (1969) de et avec Jean-Pierre Mocky

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Vidange (1997) de et avec Jean-Pierre Mocky et Marianne Basler, Jean Abeillé, Jacques Legras

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Après Wajda, ce fut au tour de Jean-Pierre Mocky de venir rencontrer hier soir l’heureux public dijonnais. Hâbleur, séducteur, râleur et définitivement révolté contre la connerie universelle, le cinéaste s’est montré égal à lui-même et nous a offert un beau moment, drôle mais également teinté de nostalgie (lorsqu’il a évoqué les souvenirs de Bourvil et Serrault).

Ce fut aussi l’occasion de revoir deux de ses films sur grand écran (ce qui n’arrive malheureusement plus souvent) : Solo, l’un de ses incontestables chefs-d’œuvre et le plutôt réussi Vidange.

 

Solo, c’est quelques années avant que les Bastid, Manchette, Fajardie et autres ADG se mettent à écrire, la véritable date de naissance du néo-polar à la française, mêlant les conventions du film noir à des éléments politiques et sociaux. Le revoir aujourd’hui, c’est constater qu’il n’a pas pris une ride (au contraire, sa belle photo nocturne a pris une certaine patine et la sécheresse de la mise en scène tient rudement bien le coup) et qu’il s’est même avéré prémonitoire dans la mesure où Mocky annonçait avec quelques d’années d’avance la chape de plomb qui allait s’abattre sur l’Allemagne et l’Italie dans les années 70.

Solo a l’amer goût d’une gueule de bois post-68. Le spectre de la révolution s’est envolé et les gens ont retrouvé de l’essence pour partir en vacances. Dans ce contexte, un groupe de très jeunes gens fomentent un attentat terroriste et dessoudent de gros bourgeois repus au milieu d’une partouze mondaine. Vincent Cabral (Jean-Pierre Mocky, excellent mais trop rare acteur), gentleman cambrioleur (pour accompagner ses cachets de violoniste, il vole des bijoux aux rombières en croisière) comprend que son petit frère Virgile fait partie du groupe et il tente de le retrouver.

Rythmé par le fameux thème musical de Moustaki, Solo est un poème nocturne en rouge et noir où éclate toute la rage que porte en lui Mocky. Il y a une expression qui revient aussi dans Vidange et que des quidams adressent ici aux flics en plein boulot : « Ca sent ». Ce qui « sent », c’est cette France de la fin des années 60 qui a laissé passer la chance de Mai 68 et où règne à nouveau le fric, la corruption et la médiocrité. Le personnage qu’incarne Mocky est intéressant car il n’est pas directement avec ces jeunes gens en colère qui veulent tout faire sauter (le film n’est pas un éloge de l’action directe même si le cinéaste a une sympathie légitime pour ces jeunes idéalistes). Il partage leur colère mais c’est un solitaire (comme le titre l’indique), un anar individualiste qui ne respecte rien et qui veut aussi changer les choses tout en étant fort désabusé. A l’immense pourriture de la société dans son ensemble, Vincent oppose un certain art de vivre et de jouir (voir son goût certain pour les jolies jeunes filles).

Ceux qui accusent Mocky de bâcler ses films devraient revoir de toute urgence Solo : la mise en scène n’a rien à envier aux grands films noirs américains et la sécheresse d’un montage tranchant comme une lame de rasoir rappelle les grandes œuvres de Fuller ou Aldrich (non, je n’exagère pas !). Le tout nimbé d’un romantisme noir qui fait de Solo, avec le superbe L’albatros, mon film préféré de Mocky.

 

Vidange s’inscrit davantage dans la catégorie des « comédies de mœurs » du cinéaste. Après avoir fustigé tout ce que l’on peut fustiger : la religion (Un drôle de paroissien, Le miraculé), la télévision (La grande lessive), la politicanaillerie (Une nuit à l’Assemblée nationale), toutes les institutions et tous les pouvoirs, Mocky se penche sur la question des juges et des mises en examen.

Le film débute par des séquences brillantes où éclate l’art du « tableau » du cinéaste, son goût pour les trognes. Comme le titre du film l’indique, il s’agit de donner un grand coup de pied dans la fourmilière de la justice et de sa collusion avec le monde politique. Le panorama que fait Mocky de ce panier de crabes est jubilatoire : procureur pédophile, secrétaire d’Etat corrompu jusqu’à la moelle (oh le beau pléonasme !), personnel politique véreux incarné par des seconds rôles savoureux (le génial Jean Abeillé, le revenant Jacques Legras, le fidèle Dominique Zardi…). Pour masquer toutes ces compromissions et éviter le scandale créé par certaines mises en examen ; ce joli petit monde fait venir de province une jeune juge novice (la délicieuse Marianne Basler, excellente comédienne qu’on aimerait voir plus souvent selon la formule consacrée) en espérant la corrompre. Manque de chance, la séduisante jeune femme ne se laisse pas faire et mène l’enquête de manière à faire tomber les têtes…

Un des spectateurs dans la salle d’hier a fait remarquer que Mocky était un « moraliste » au sens 18ème siècle du terme, à savoir quelqu’un qui observe et critique les mœurs de ses contemporains. Cette remarque s’applique à merveille à Vidange, où le cinéaste n’y va pas avec le dos de la cuillère (tout le monde est corrompu et les collusions sont partout entre les pouvoirs, que ça soit la justice, la politique, l’Eglise – qui orchestre la traite de jeunes prostituées russes !- et la mafia) mais dont les intuitions ont été depuis, malheureusement, vérifiées par l’actualité.

Au cœur de cet univers sordide, Mocky incarne avec une délectation visible un salaud parfait qui se vend au plus offrant et qui fait chanter tout le monde. Plus de romantisme chez ce personnage mais toujours ce caractère solitaire et revenu de tout, qui n’hésite plus à cracher dans la soupe depuis qu’il a réalisé qu’elle n’était que de la boue et d’ordure.

Si Vidange souffre parfois de quelques longueurs et d’un rythme mi-figue, mi-raisin ; il s’agit néanmoins d’une œuvre fort drôle et dont l’humour a le mérite d’être « poil à gratter ». C’est peut-être par là que j’aurais dû commencer mais il me semble l’avoir déjà dit : si Mocky est un cinéaste aussi précieux, c’est qu’il n’est jamais dans le second degré qui offre au spectateur la position confortable du complice. Son humour reste toujours au premier degré et il a le mérite d’être saignant, de n’épargner aucune des saloperies qui nous pourrissent la vie et dont nous sommes tous complices par notre résignation.

A mille lieux des chansonniers médiocres ou des atterrants « comiques » télévisuels, l’humour de Mocky reste salutaire parce qu’il décape.

On lui souhaite (et à nous par la même occasion !) de nombreux autres films…

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