Réalité (2014) de Quentin Dupieux avec Alain Chabat, Jonathan Lambert, Élodie Bouchez

 pasmal.jpg

Je dois être un peu rancunier (et de mauvaise foi) parce que la découverte du ridicule Steak m'a, jusqu'à présent, fait fuir tous les films de Dupieux. Difficile de juger de son œuvre mais les bonnes critiques aidant, je me suis quand même décidé à aller voir son dernier film et je dois concéder que Réalité, malgré quelques réserves, me réconcilie avec ce cinéaste.

Sans avoir vu ses titres précédents mais qui fleurent bon la blague de potache (Cf. Rubber), il semblerait que Réalité soit son film le plus abouti et le plus « réflexif ». Il met en scène un modeste cadreur (Alain Chabat) d'un sinistre jeu télévisé qui rêve de tourner son propre film. Il rencontre un producteur chez qui il a travaillé autrefois comme standardiste (Jonathan Lambert) et lui expose son projet (une histoire de télévisions tueuses!).

Cette ligne directrice ne rend absolument pas compte de la teneur d'un film qui est construit sur un emboîtement sophistiqué de rêves et sur une logique de « cadavre exquis ». Nous suivrons donc en parallèle les aventures d'une fillette qui découvre une VHS dans les entrailles d'un sanglier, celle d'un directeur d'école qui rêve (?) qu'il va frapper à la porte d'un vieillard déguisé en femme, d'un réalisateur qui semble tourner l'histoire de ladite fillette et de sa famille...

Brillamment construit, bien écrit et plutôt bien mis en scène, le film semble emprunter la voie royale tracée par Buñuel dans ses derniers films (notamment Le charme discret de la bourgeoisie et Le fantôme de la liberté). Mais chez Dupieux, il ne s'agit pas de filmer un pan entier du réel dont on aurait saper une dimension (chez Buñuel, il s'agit surtout de mettre à nu les codes sociaux, de révéler leur absurdité) mais de se fier à une « logique » de l'absurde pour l'absurde.

Lorsque l'homme raconte son rêve où il est travesti à la psychanalyste, celle-ci lui réplique qu'il n'y a rien à interpréter et qu'il est trop court. Nous sommes dans une logique de non-sens qui ne débouche sur rien sinon cet absurde.

Absurde qui provoque néanmoins le rire, ce qui n'est évidemment pas rien. De ce point de vue, le duo Jonathan Lambert/ Alain Chabat fonctionne parfaitement et le passage où le cinéaste explique son projet est assez hilarant, notamment en raison des multiples interruptions qui viennent ponctuer ce moment (là encore, c'est le souvenir du Charme discret de la bourgeoisie qui vient à l'esprit). Dans cette lignée, Lambert demande à Chabat de lui faire gagner un Oscar pour le meilleur... gémissement ! S'ensuit une succession de scènes où notre futur metteur en scène enregistre de multiples gémissements pour le meilleur et pour le pire.

Avec Réalité, il est probable que Dupieux livre pas mal de lui-même en cinéaste dilettante en quête de création. Le film qu'il imagine et dont on voit des extraits rappelle furieusement l'idée absurde qui présidait à la réalisation de Rubber. De manière habile il met en abyme son goût pour le non-sens et pour l'humour potache. La limite du film est, bien entendu, son côté « exercice de style » qui empêche d'y adhérer totalement.

N'empêche que de voir Chabat se retrouver dans une salle de cinéma en train de voir le film qu'il s’apprête à tourner reste un grand moment (idem pour la scène rêvée de la cérémonie des Oscars où se lit à la fois l'ambition américaine de Dupieux et sa modestie).

Dupieux n'est sans doute pas (encore?) Buñuel mais la voie qu'il emprunte est suffisamment singulière et osée au cœur du cinéma français pour qu'on ne lui en sache pas gré !

 

***

 

Vincent n'a pas d'écailles (2014) de et avec Thomas Salvador et Vimala Pons


bof.jpg

Sur le papier, un film totalement différent de Réalité s'inscrivant dans la tradition intimiste du cinéma d'auteur français mais qui contient pourtant une idée qu'aurait pu avoir Dupieux : celle d'un jeune homme dont les forces sont décuplées lorsqu'il entre en contact avec l'eau. Idée originale et amusante mais dont on se demande ce que Thomas Salvador va bien pouvoir faire. Or il se trouve qu'il adopte un style minimaliste (très « jeune cinéma français », pour le coup) qui finit par affadir considérablement l’œuvre.

Difficile d'être sévère avec ce premier long-métrage d'autant plus qu'il témoigne d'un talent certain : Thomas Salvador a le sens du paysage et du cadre (les plans d'ensemble sont toujours magnifiques) et Vincent n'a pas d'écailles bénéficie d'une très belle photographie. Pour rebondir sur un dossier récent des Cahiers du cinéma, il faut souligner le beauté de la lumière qui parvient à mettre en valeur le rapport très particulier que le personnage entretien avec l'eau (ceci dit, c'est du gâteau tant on sait que l'eau est très « cinégénique »). Les scènes où il glisse dans les sinuosités des cours d'eau sont plutôt réussies. Mais malheureusement, l'idée du film qui aurait sans doute fait un bon court-métrage s'essouffle assez vite et Salvador n'en fait pas grand-chose, notamment parce qu'il n'arrive pas à donner de la consistance à ses personnages. A ce titre, je trouve les dialogues totalement creux et les situations bien anémiées. Car si Vincent n'a pas « d'écailles », on a envie d'ajouter que Thomas manque cruellement de chair. Reste alors quelques idées (le moment où tout bascule et où notre super-héros doit échapper à la flicaille) qui relèvent là encore d'idées de court-métrage un peu trop étirées (d'autant plus que cette chasse à l'homme paraît bien disproportionnée par rapport aux actes commis par Vincent!).

Du coup, on a du mal à croire au projet : aux super-pouvoirs de Vincent, jeune homme plutôt mou et taiseux, à son histoire d'amour avec la craquante Vimala Pons (très bien mais moins pétillante que dans La fille du 14 juillet) et à son départ pour l'Amérique.Tout ça manque cruellement d'émotion.

Quelques beaux moments (outre les baignades déjà citées, j'aime bien la scène de la « plus longue caresse du monde » qui témoigne, pour une fois, d'une certaine audace charnelle trop absente du film) ne suffisent pas à donner de la consistance à Vincent n'a pas d'écailles.

Accordons néanmoins notre confiance à Thomas Salvador car son talent ne fait aucun doute...

Retour à l'accueil