Basket case 2 (1990) et Basket case 3 (1992) de Frank Henenlotter avec Annie Ross, Kevin Van Hentenryck. (Éditions Carlotta Films). Sortie en DVD le 24 août 2016

La monstrueuse parade

Huit ans après Basket case, Frank Henenlotter donne une suite aux aventures de ses deux frères siamois malencontreusement séparés. Basket case 2 débute à l’endroit même où le premier se terminait : sur un trottoir d’une rue glauque de New-York où Duane et son frère monstrueux Belial se retrouvent après avoir été défenestrés.

Ils sont pris en charge par l’hôpital et surveillés de très près par la police mais, très vite, ils parviennent à s’échapper…

Autant le premier volet de la saga était axé sur la vengeance des frères contre les médecins indélicats qui les avaient séparés, autant celui-là bifurque vers la comédie carnavalesque dans la lignée de Frankenhooker.

Henenlotter introduit un personnage formidable : celui de Mamie Ruth (Annie Ross), une débonnaire vieille femme qui a pris sous son aile tous les monstres de la création. C’est donc les bras ouverts qu’elle accueille Belial et son frère dans sa vaste demeure. Ils font connaissance avec toute une faune de créatures étranges et grotesques qui les aideront à empêcher quelques journalistes indélicats de s’emparer d’une affaire (celle des siamois meurtriers) désormais juteuse (une rançon faramineuse est promise à quiconque les capturera).

Alors que le premier Basket case était un film plutôt trash et assez gore, suintant le New-York sombre, sordide et violent des années 80, Basket case 2 témoigne à la fois de l’évolution d’un genre et de certaines mutations sociales (même si la notion peut sembler pompeuse).

Henenlotter est un cinéaste cinéphile qui s’est formé dans les salles de la 42ème rue, qui a connu les bas-fonds new-yorkais et qui appartient à cette génération de cinéastes (Glickenhaus, Lustig…) ayant ancré ses œuvres dans cet univers interlope. Quelques années avant que le maire Giuliani n’assainisse les rues de la ville et conjointement au retour à l’ordre moral que furent les années Reagan, Henenlotter voit le monde qu’il a côtoyé disparaître.

Du coup, les « freaks » (drogués, prostituées, petits délinquants et marginaux de tout poil) qui arpentaient les rues mal famées sont désormais figurés littéralement (tous ces monstres) et ils ont été recueillis au sein d’une communauté par une petite « mamie » qui milite pour la défense de leurs droits.

A l’instar des premiers Tim Burton, Henenlotter livre avec Basket case 2 une comédie à l’humour très noir qui est aussi un plaidoyer pour la différence et la reconnaissance de ces êtres marginaux qui ne se trouvent désormais plus à leur place dans l’Amérique WASP.

Le cinéaste rend un hommage évident à Tod Browning avec cette « monstrueuse parade » dont les membres paraissent pourtant moins « monstrueux » que les humains cupides et menteurs. Il n’oublie pas non plus son goût pour le gore de ses débuts et réserve quelques scènes qui réjouiront les amateurs d’humour noir : l’accouplement très gélatineux de Belial et de sa dulcinée Eve, la scène finale où Duane tente de recoudre son frère siamois sur son flanc…

La monstrueuse parade

Dans Basket case 3, on retrouve toute la ménagerie mais Eve doit accoucher ! Du coup, Mamie Ruth décide de rendre visite à Hal, le seul médecin en qui elle peut avoir confiance dans la mesure où son fils est aussi un « monstre ». Henenlotter reprend les choses où elles en étaient restées mais parvient néanmoins à se renouveler avec talent.

Dans un premier temps, il accompagne son « club des monstres » le temps d’un trajet en bus assez savoureux. Ensuite, chez Hal, tout ce petit monde forme à nouveau une sorte de petite communauté utopique vivant en marge de la société et n’hésitant pas à faire la fête lorsqu’Eve donne à Belial…12 enfants ! Mais les autorités locales ont vent de l’arrivée de ces indésirables et vont chercher à mettre la main sur Duane et son frère dont les têtes sont toujours mises à prix.

Même si ce n’est pas l’un des personnages principaux, le petit Hal est sans doute le plus caractéristique de l’œuvre d’Henenlotter. Comme le héros de Frankenhooker, c’est un inventeur de génie qui se plait à assembler les éléments les plus hétéroclites. Il est à l’image de ce cinéaste « freak », amoureux de ses monstres et bidouilleur facétieux qui ne saurait se passer des créatures qui ont hanté son enfance.

En donnant une progéniture à Belial (la scène d’accouchement est assez épique et mérite le détour), Henenlotter accentue le côté « famille » de la communauté et va encore plus loin dans l’horreur carnavalesque : décapitation, yeux extirpés de leurs orbites…Mais encore une fois, les monstres paraissent moins atroces que les humains. Dans Society de Brian Yuzna, la haute bourgeoisie révélait son vrai visage en se transformant en amas de chairs grouillantes avides de partouzes. Dans Basket case 3, c’est un peu l’inverse : ces chairs à vif et déformées, monstrueuses, sont finalement plus « humaines » que ces flics qui tirent à tout va.

Un décès frappera d’ailleurs le groupe et donnera lieu à une scène apparaissant comme un manifeste : pour Mamie Ruth, plus question de se cacher mais il faut désormais revendiquer sa différence et sa « monstruosité ». Lorsque les monstres débarquent à la télévision ou dans un McDo en proclamant que ce monde est aussi le leur, Henenlotter affiche parfaitement les enjeux utopiques de son film. Comme le souligne très justement Vincent Malausa dans le dernier numéro des Cahiers du cinéma, cette comédie « monstrueuse » à l’humour très noir annonce les films « freaks » des frères Farrelly.

En ne se contentant pas d’appliquer sagement les recettes du premier Basket case, Henenlotter est parvenu à renouveler sa saga et à en faire une œuvre accompagnant le déclin d’un genre (l’humour qui a, peu à peu, rendu plus aimable le cinéma d’horreur fruste et violent des années 70/80) tout en accueillant en son sein tous les monstres de la création pour les garder sous son aile et leur redonner une place au cœur de sa petite communauté utopique…

 

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