Théâtre de Monsieur et Madame Kabal (1967) + 12 courts-métrages (1959-1984) de Walerian Borowczyk. Editions Carlotta Films. Sortie en DVD le 22 février

Marathon Borowczyk : 1

L’hiver 2017 sera donc placé sous le signe de Walerian Borowczyk puisque de nombreux événements lui sont consacrés : une grande rétrospective au centre Georges Pompidou du 24 février au 19 mars et un magnifique coffret édité par les bons soins de Carlotta, regroupant 7 longs-métrages et 16 courts-métrages sans parler de nombreux suppléments et des publications qui accompagnent ces sorties.

Ces rétrospectives tombent vraiment à pic pour réévaluer l’œuvre d’un cinéaste finalement assez méconnu, associé à tout jamais à deux grands films érotiques (Contes immoraux et La Bête) et qui reste dans l’esprit de beaucoup un tâcheron ayant exploité le même filon (l’érotisme « littéraire » et esthétisant) jusqu’à la corde avec comme exemple type, la réalisation assez consternante du 5ème volet de l’increvable saga Emmanuelle.

Pourtant, on aimerait pouvoir tout revoir car le cinéaste a poursuivi son chemin avec une certaine constance, adaptant régulièrement les œuvres de Pieyre de Mandiargues (un sketch des Héroïnes du mal, La Marge, Cérémonie d’amour) ou encore celles de Stevenson ou Wedekind. Et puis, il y a toute sa carrière antérieure aux Contes immoraux qu’on connaissait mal (du moins, c’est mon cas) et à laquelle il était difficile d’avoir accès.  

Même si le coffret Carlotta n’est pas complet, il est désormais possible de revoir un bon nombre des courts-métrages de Boro et de constater la cohérence d’une œuvre où la recherche formelle se mêle toujours à des thèmes assez sombres.

Sans être le plus réussi, le court film d’animation Scherzo infernal (1984) pourrait constituer une excellente porte d’entrée dans l’univers de Borowczyk. Il s’agit de la rencontre improbable entre un ange qui veut se prostituer et un démon qui veut être pilote d’avion sans penser à mal pour les humains. Si la symbolique est un peu épaisse, elle épouse parfaitement la ligne directrice des œuvres courtes et (souvent) animées du cinéaste : une tension constante entre la beauté et la monstruosité, entre ce qu’il y a de plus « pur » dans l’âme humaine et les zones les plus sombres et bestiales qui la composent.

Même si leur style est totalement différent, on retrouve cette dichotomie dans le film d’art L’Amour monstre de tous les temps (1978) 10 minutes consacrées au peintre serbe Lujba dont le tempérament est assez proche de celui du cinéaste : surréalisme, érotisme et un goût prononcé pour la monstruosité. Sans commentaires mais avec un sens du montage très affirmé, Boro nous livre un beau portrait que l’on peut regarder comme une sorte de traité poétique.

Diptyque (1967)  fonctionne, comme son titre l’indique, sur le même type d’opposition. D’abord, un style documentaire pour décrire le quotidien d’un vieil homme presque centenaire toujours occupé à labourer sa terre. Puis, dans une deuxième partie, de magnifiques plans très esthétiques sur des bouquets de roses, sur un chaton à croquer jouant avec sa pelote de fil tandis que Tino Rossi roucoule une de ces ineptes romances dont il avait le secret. Le message est assez clair et se dessine ici un message « social » un brin appuyé que l’on retrouve un peu dans Rosalie (1966), adaptation d’un texte de Maupassant mettant en scène une jeune femme plaidant sa cause et expliquant ce qui l’a poussée à tuer son enfant nouveau-né et à l’enterrer dans le jardin. Un peu raide dans son dispositif, le film séduit surtout par l’espèce d’inventaire (une pelle, des draps ensanglantés, un paquet…) d’objets qui interrompt constamment le monologue de la jeune femme.

Marathon Borowczyk : 1

Ici, on voit se profiler ce qui fait souvent la saveur du style de Borowczyk : un goût pour les inventaires à la Prévert que l’on retrouve dans ses « dictionnaires » et « encyclopédies » illustrés. Tout d’abord, dans Encyclopédie de grand’maman (1963) qui ne comportera que trois lettres et l’excellent Dictionnaire de Joachim (1965) où chaque mot donne lieu à une petite illustration en guise de définition. Le dessin minimaliste et l’humour très noir de ces petites animations font mouche à chaque fois et a-t-on déjà mieux illustré une définition de « garçon » et « homme » que par ce petit personnage dessiné de profil qui se contente de cracher des noyaux de cerises ?

Ce goût pour l’inventaire, on le retrouve dans les deux versions du court-métrage Une collection particulière (1973) que l’on trouve en supplément du DVD de Contes immoraux. Là encore, Boro consacre un film entier à un étrange collectionneur d’objets érotiques de toutes sortes : dessins, gravures, lanternes magiques, photos anciennes, olisbos et machines plus insolites. Si le film est présenté en deux versions, c’est que l’une est plus « hard » que l’autre dans la mesure où le collectionneur ne met pas son doigt sur les parties délictueuses des photos qu’il présente à la caméra. Par ailleurs, dans la version dite d’Oberhausen (du nom du festival où le film fut projeté), un appareil de projection antique nous donne à voir un bien innocent dessin-animé interrompu soudainement par un petit film clandestin où une femme s’apprête à s’accoupler avec…un chien ! Cette obsession de la zoophilie que l’on retrouvera exacerbée dans La Bête, le spectateur d’aujourd’hui ne pourra pas l’apprécier pleinement puisque la séquence reste « interdite » et des plans noirs remplacent toujours les images « criminelles ».

Marathon Borowczyk : 1

Mais revenons au Dictionnaire de Joachim pour évoquer le « trait » de Borowczyk : que ce soit ici ou dans Concert (1962), le trait est extrêmement dépouillé, les personnages stylisés et l’inspiration volontiers surréaliste. La plupart de ses films d’animation, en commençant par l’excellent Les Astronautes (1959, réalisé avec l’aide de Chris Marker) ou le superbe Renaissance (1963) sont marqués par un sens de l’absurde et de l’humour noir que l’on retrouve dans le long-métrage dessiné Théâtre de Monsieur et Madame Kabal. Reprenant les personnages de Concert, Borowczyk réalise une fable sur le quotidien d’un couple où l’absurde règne en maître. Les corps sont dégingandés, les membres sont souvent tranchés, démantibulés et scrutés de l’intérieur (le mari qui plonge comme dans Le Voyage fantastique à travers les artères de son épouse pour la sauver). On pense à la fois aux expériences folles d’un Averty mais également à Jarry, Ionesco ou Beckett. Mais surtout, me semble-t-il, Boro s’inscrit pleinement dans cette génération de nouveaux dessinateurs qui se retrouvaient autour de la revue Bizarre. On pense aussi bien à Chaval qu’à Copi et surtout au génial Topor.

Ces films d’animation ont toujours un côté bricolé (Les Astronautes rend un hommage évident aux pionniers du cinéma, qu’il s’agisse d’Emile Cohl ou Méliès), assez agressif (pour le coup, quelqu’un comme Terry Gilliam a une dette évidente envers Borowczyk) et marqué par des techniques hétéroclites (animation image par image, papiers collés, dessins animés, importance d'une bande sonore très travaillée…). Le plus réussi reste sans doute Renaissance qui s’ouvre sur des images du chaos dans une pièce. Mais, peu à peu, tous les objets se reconstituent : une chouette (animal fétiche du cinéaste) empaillées, un trombone, une photo de famille, des livres… On reconnaît ici l’attachement du cinéaste au monde des objets et ce n’est sans doute pas un hasard s’il choisit le code pénal comme livre et une image pieuse qui s’échappe de ces pages. Avec son sens de l’absurde, Boro montre le caractère éphémère de ces « piliers » qui fondent nos civilisations (la « Loi », la religion…). Si le mouvement du récit tend à montrer une reconstruction, il se termine ironiquement par une nouvelle grenade qui mettra un terme à cet artificiel ordonnancement. Né en 1923 en Pologne, Borowczyk est suffisamment âgé pour avoir connu toutes les horreurs du siècle (nazisme, stalinisme…) et raille avec beaucoup d’humour noir tout ce qui constitue un vernis civilisationnel.

Dernier point qu’il convient d’aborder : l’érotisme. Si tous ces courts sont visibles par tous, ils annoncent néanmoins ce qui constituera par la suite la teneur érotique du cinéma de Boro. Dès Les Astronautes, le savant fou profite de l’invention de son vaisseau spatial pour aller reluquer une jolie jeune femme dans son appartement. On retrouvera ce voyeurisme dans Théâtre de Monsieur et Madame Kabal puisque des vues réelles arrivent à chaque fois que monsieur Kabal utilise une lunette pour mater de jolies jeunes femmes avant qu’un vieil homme tance (de loin) le voyeur démasqué. Chez Boro, l’érotisme a peu à voir avec la représentation de l’acte sexuel mais se caractérise par un goût prononcé pour le corps féminin et la beauté magnifiée. Le sexe importe moins qu’un certain fétichisme lié au regard.

Mais de cela, nous aurons l’occasion de reparler…

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