Bullets for Breakfast (1992) d’Holly Fisher (Editions Re :Voir) Sortie en DVD le 8 mai 2019

© Re:Voir

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Par rapport à certains films dits « expérimentaux », Bullets for Breakfast est plutôt lisible. Il s’agit d’un montage d’images hétéroclites où le spectateur pourra reconnaître des extraits de My Darling Clementine de John Ford, des toiles de Vermeer ou Manet et des plans plus « domestiques ». Les voix-off que l’on entend s’avèrent aussi composites : extraits d’interviews, poèmes, bribes de conversations… L’ensemble n’apparaît pas plus hermétique que le très beau Livre d’image de Jean-Luc Godard ou les chefs-d’œuvre de Guy Debord. Néanmoins, Bullets for Breakfast reste un film assez déconcertant dans la mesure où ce qui devrait faire sens (ce que l’on voit et ce que l’on entend) ne semble plus « relié » au regard de l’auteur. Pour le dire autrement, on ignore toujours en quoi ces plans, ces propos appartiennent et touchent Holly Fisher et même à qui sont ces voix (des proches ? des célébrités ?). Et pourtant, on devine parfaitement que le film est très personnel.

La meilleure façon d’appréhender le film serait peut-être alors de regarder ses courts-métrages dont certains sont présentés dans le beau DVD édité par les incontournables éditions Re :voir. Le plus beau, et celui qui pourrait nous servir de fil d’Ariane, est assurément Glass Shadows (1976). Dans ce film de 13 minutes, le spectateur se trouve au milieu d’une pièce obscure possédant de nombreuses fenêtres. En scrutant les reflets que produisent ces carreaux, on aperçoit la silhouette, nue, de la cinéaste qui se réfléchit dans les vitres. Tout le cinéma d’Holly Fisher tient peut-être dans ce mouvement dialectique : à la fois possibilité de multiples ouvertures sur le monde puisque des surimpressions et des reflets de reflets accentuent l’impression d’un grand nombre de fenêtres mais également autoportrait en miroir même s’il s’avère brouillé (on ne distinguera ni son corps, ni son visage mais une simple ligne de silhouette). Dans From the Ladies (1977), Holly Fisher se filme dans les toilettes d’un Holiday Inn dont les murs sont recouverts de miroirs. Alors qu’elle capte sa propre image démultipliée, le spectateur entend, en voix-off, des bribes de paroles venues des employées de l’hôtel. On retrouve donc ce double-mouvement qui part de la cinéaste pour aller à la rencontre d’autres femmes avant de revenir à elle qui se sert de son outil comme d’un miroir. Même si on devine derrière ces mots qui évoquent le mariage, l’indépendance financière, le travail que se dessinent les contours d’une réflexion sur la condition féminine, le côté introspectif n’est pas forcément aisé à saisir puisque Holly Fisher refuse de nous livrer des clés. Dans Soft Shoe (1987) les choses se compliquent puisqu’il n’y a désormais plus de voix-off pour donner quelques indications. Le montage kaléidoscopique semble suggérer néanmoins cette tension permanente entre un état du monde (des images de Dachau provenant d’un documentaire) et une approche domestique (un voyage en Europe effectué par la cinéaste dont elle a rapporté des images en Super 8). Le long-métrage Bullets for Breakfast paraît alors dans la droite lignée de ces courts. L’écran est parfois divisé, offrant là encore une multitude d’opportunité pour « voir le monde » tandis que les surimpressions tissent des liens entre les différents types d’images. Mais, là encore, les éléments plus domestiques sont difficiles à cerner. Entre l’entretien avec un auteur de « pulps », des paroles de femmes évoquant leurs conditions (entre celle qui reprend les études à 40 ans et celle qui récite un poème féministe), on imagine que se glissent dans ces interstices des éléments qui touchent la cinéaste.

Ne possédant pas toutes les clés, il est alors nécessaire pour le spectateur de se laisser porter par la poésie qui émane de certains plans, du montage musical de tous ces éléments. Si ce n’est pas toujours forcément évident, habitués que nous sommes à un cinéma narratif et figuratif, l’expérience s’avère intéressante et mérite d’être tentée…

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