Short films (1998-2019) de Virgil Widrich (Editions Re :Voir films) Sortie en DVD le 2 octobre 2019

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S’il fallait d’emblée résumer la teneur des courts-métrages de Virgil Widrich regroupés dans ce beau DVD, nous dirions qu’ils sont tous travaillés par la question de la représentation et, surtout, de la perception. A ce titre, Light Matter est sans doute l’essai le plus expérimental et le plus radical du cinéaste puisque pendant cinq minutes, le spectateur est soumis à une série de flashs lumineux devenant de plus en plus forts et intenses (un carton met en garde les personnes épileptiques !). Sans aucune image, ce film joue sur la sensation et la perception du spectateur qui peut choisir d’écarquiller les yeux pour percevoir des formes et luminosités qui n’appartiennent qu’à lui ou, au contraire, se « protéger » en les fermant ou les clignant.

A part ce film abstrait, l’œuvre de Virgil Widrich s’avère beaucoup plus accessible et relève à la fois du « mash-up » et de l’animation. Mais à chaque fois il y a chez lui une volonté de jouer sur le décalage entre la représentation des choses et la perception que l’on peut en avoir. Tx-transform, comme l’écrit Nicolas Thévenin dans le livret qui accompagne le DVD, « permet une nouvelle figuration des corps et des objets en mouvement, dont la perception pour le spectateur devient celle de leurs déplacements dans le temps et non dans l’espace, du fait de l’inversion de leur axe respectif lors de l’enregistrement. ». Je ne suis pas certain d’avoir parfaitement compris le processus technique mais un « making-of » tente de l’expliquer en prenant l’image d’un « flip-book » où les personnages ne se déplaceraient plus selon l’axe horizontal de l’espace dans le temps mais selon un axe transversal inverse. Cela produit à l’image des effets de distorsions et d’anamorphoses assez curieux où ce qui reste immobile (le décor) disparaît tandis que se transforment les éléments en mouvement. Ce concept théorique n’a rien de décharné à l’écran car le cinéaste l’illustre par une saynète où un homme tire sur deux hommes dans un train (il s’agit en fait d’une anecdote contée par Bertrand Russell pour illustrer la théorie de la relativité). 20 ans après, Widrich utilise un procédé similaire dans Tx-reverse mais avec un nouveau procédé de caméra à 360° pour nous immerger dans une salle de cinéma avec des spectateurs plongés dans un univers à la fois « documentaire » (les éléments qui restent stables) et abstrait (qui correspond à la question de notre perception). D’une certaine manière, Widrich réinvente les essais sur la décomposition du mouvement des grands primitifs (Marey, Muybridge…).

Une autre partie de l’œuvre de Virgil Widrich relève du « mash-up » et mixe des images de films préexistants pour leur donner un nouveau sens. A la manière de la rubrique « recut » de l’excellente émission Blow-up, le cinéaste part d’une approche thématique (les robots dans Make/Real, les voitures dans Warning Triangle) pour inventer de nouvelles « fictions ». Dans les deux cas, le cinéaste joue sur deux niveaux de perception : d’une part, la réception « cinéphile » de l’objet puisque le spectateur peut s’amuser à reconnaître les extraits mixés (Metropolis, 2001 ou A.I dans Make/Real ; Christine, Crash et Lost Highway dans Warning Triangle) ou alors se focaliser sur la progression dramatique élaborée par l’auteur : la montée du désir lié à l’automobile dans Warning Triangle, le rêve humain de dépasser le créateur en donnant naissance à un être « mécanique » (Frankenstein est également cité) avant que cette volonté de puissance se retourne contre lui (HAL chez Kubrick) dans Make/Real.

Mais le plus extraordinaire et le plus abouti de ces films est incontestablement Fast Film, qui conjugue ce côté « mash-up » avec les techniques du cinéma d’animation. En effet, si le film débute traditionnellement par des extraits d’un film avec Bogart et Bacall, l’image se déchire, se plie et se déploie sous forme d’origamis ou d’objets reconnaissables (trains, avions…). L’image projetée (les multiples extraits de films hollywoodiens) devient elle-même un objet modelable et le matériau d’un récit inédit qui accumule les poursuites effrénées. Le montage effectué par Virgil Widrich est absolument prodigieux et, là encore, l’œuvre offre deux types de perception, entre le déchiffrage ludique de tous les visages connus que l’on reconnait (Cary Grant chez Hitchcock, Sean Connery, Bogart…) et le « récit » imaginé par l’auteur (qui suit une véritable ligne dramatique, assez fidèle au schéma hollywoodien avec ses climax réguliers et son « happy end »). Cette malléabilité de l’image, sa reproductibilité infinie est également l’objet, mais sous une autre forme, de l’excellent Copy Shop où un employé chargé d’effectuer des photocopies réalise soudainement qu’il se duplique lui-même à l’infini. Là encore, le procédé ludique mis en place par le cinéaste dans une œuvre qui évoque à la fois les cauchemars de Guy Maddin et la peinture de René Magritte provoque des effets de perception vertigineux. Tout se joue constamment dans l’écart qu’il peut exister entre le cinéma comme « machine à enregistrer la réalité » et la perception que le spectateur a de cette réalité.

Si les œuvres de Virgil Widrich méritent d’être (re)découvertes, c’est sans doute pour cet équilibre qu’elles maintiennent entre une réflexion pointue sur la perception, la représentation et une approche ludique et incroyablement inventive qui rend ces OVNIS assez fascinants…

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