Général Idi Amin Dada : autoportrait (1974) de Barbet Schroeder

 

Plus je découvre les films de Barbet Schroeder et plus son oeuvre me semble intéressante. Je le disais à propos de son excellent l’avocat de la terreur, Schroeder est un cinéaste de l’ambiguïté, soucieux de ne jamais filmer sous les auspices de la Loi (et sa division transcendante entre le Bien et le Mal) mais sous le signe du jeu et de la Règle. Que ce soit dans ses fictions (L’enjeu exemplairement) ou ses documentaires (L’avocat de la terreur), les personnages qui semblent incarner le Bien doivent se confronter à leurs adversaires et se plier à leur règle. Pour Schroeder, Vergès n’est ni un saint, ni un salaud mais un « adversaire » auquel il faut s’opposer sur le terrain de la mise en scène (à l’arrivée, il y avait match nul)

Dans ce documentaire assez étonnant sur Amin Dada, les règles sont un peu changées. Car c’est peu dire que le dictateur ougandais n’a ni la finesse, ni la rouerie d’un Jacques Vergès. Pour le cinéaste, c’est du petit lait : il laisse au général le monopole de la mise en scène (certaines réceptions fastueuses dans des petits bourgs africains ont été organisées spécialement pour le film) et se prendre lui-même dans les mailles grotesques de son jeu ubuesque.

Pour prendre une comparaison avec un type de documentaire récent, Schroeder invente un Strip-tease avant la lettre : pas d’interventions directes du cinéaste (si ce n’est quelques questions au chef d’état et quelques précisions apportées a posteriori en voix-off) mais une caméra qui se contente de suivre Amin Dada.

Et c’est là que le film devient à la fois passionnant et effrayant. Passionnant parce que Amin Dada se laisse peu à peu déposséder de sa propre mise en scène par le cinéaste qui parvient à faire tomber le masque jusqu’à l’une des dernières scènes qui, personnellement, m’a glacé le sang puisqu’on y voit un médecin critiquer indirectement la manière dont le gouvernement les traite.  Schroeder se contente alors de filmer le regard bovin d’Amin Dada et le tic nerveux qui agite ses mains et l’on sent alors toute la folie de ce type qui, depuis le début, a tenté de se présenter à nous sous le masque de la bonhomie joviale.

C’est cette manière dont se fissure le masque que se compose le dictateur qui fait tout l’intérêt du film. Amin Dada n’a, au départ, que des mots d’amour dans la bouche. Il se présente comme un homme aimant les enfants (il en avait alors 18 de ses quatre femmes. « Je suis un excellent tireur » laisse t-il échapper avec la finesse d’un rhinocéros à la mamelle !), comme le réconciliateur de tous les africains (rien de moins !) et comme un « leader révolutionnaire » désireux de piocher ce qu’il y a de meilleur dans le capitalisme et ce qu’il y a de meilleur dans le communisme pour gouverner son pays (sic).

On le voit encore danser avec les habitants du village ou faire une compétition de natation (bien sûr, c’est lui le vainqueur, mais est-ce que ses concurrents avaient le choix ?).

Mais derrière ce visage jovial et ce bon gros rire franc se dessine peu à peu le portrait d’un fou sanguinaire incroyablement mégalomane (on voit se construire une immense station devant permettre au monde entier de capter la radio ougandaise !), atrocement antisémite (alors là, oui, je suis d’accord avec les laquais assermentés du pouvoir du style Joffrin ou BHL : les propos qu’Amin Dada tient sur la politique d’Hitler sont inadmissibles !)  et près à bombarder Israël à la première occasion.

On réalise aussi à quel point sa politique gouvernementale se résume à un simple culte de la personnalité. La séquence du conseil des ministres est assez extraordinaire (il ordonne aux ministres de tout faire pour que le peuple aime son chef !) et il faut voir comment il s’adresse à l’ordre des médecins (il leur recommande simplement de ne pas trop boire d’alcool).

Ca pourrait être hilarant (dans le style Ubu roi) si derrière ces éclats grotesques ne s’élevaient l’odeur du sang et des cadavres qui jonchèrent le sol sous le règne du despote.

Sans avoir l’air d’y toucher, Schroeder nous livre ici un portrait saisissant d’un dictateur complètement psychopathe et un document assez exceptionnel.

 

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