5 DVD Eurociné édités par Artus éditions :


Elsa Fraulein SS (1976) de Patrice Rhomm

Train spécial pour Hitler (1976) d'Alain Payet

Nathalie dans l'enfer nazi (1977) d'Alain Payet

Helga, la louve de Stilberg (1977) d'Alain Payet

Les gardiennes du pénitencier (1979) de Alain Deruelle




Une fois n'est pas coutume, je n'aurai pas recours à ma signalétique traditionnelle pour vous parler des films du jour. D'une part, parce que pour le grand retour de ma chronique « nouveautés DVD » (enfin !), c'est cinq films pour le prix d'un que je vais évoquer ; d'autre part, parce qu'il est rigoureusement impossible de juger des productions Eurociné avec des critères « normaux » tant ces films semblent sortir de nulle part (d'où ce charme si particulier).

Eurociné est une très ancienne société de production fondée avant-guerre (1937) avant d'être reprise en 1957 par le très pittoresque Marius Lesoeur, ancien forain décoré également à la Libération pour actes de résistance.

Le succès d'un film qui m'est cher (l'horrible docteur Orlof de Jess Franco) va pousser la compagnie à s'orienter vers le film d'épouvante. Très vite, Eurociné devient synonyme de cinéma d'exploitation et la maison va offrir aux amateurs pervers un catalogue très complet de succulents nanars à (très) petits budgets, illustrant tous les genres possibles et imaginables (le western « paella », les films de zombies puis de cannibales, l'érotisme, l'action...).

En son sein se distinguent néanmoins de véritables petits maîtres parvenant à contourner les contraintes budgétaires pour réaliser des œuvres sans doute inégales mais vraiment inventives et personnelles (oui ! je pense toujours à Jess Franco !).

Soucieuse de ne louper aucune mode, la maison Eurociné va produire à partir du début des années 70 un certain nombre de « WIP films » (« Women In Prison »). Ah ! Les films de femmes en prison ! Un monde de « nus et de chaînes » (comme le disait Ado Kyrou) ! Voilà le genre cinématographique le plus à même d'apaiser les âmes tourmentées et de mettre du baume au cœur ! Tout un univers codé entre crêpage de chignons chez les prisonnières et gardiennes sadiques : de quoi stimuler les sens et réjouir l'esprit, surtout lorsqu'il y a derrière la caméra un cinéaste déjanté comme Franco qui tournera énormément de films de ce genre.


Trois des cinq films Eurociné présentés par les éditions Artus (louées soient elles !) relèvent de ce qu'on a appelé la « nazisploitation » que nous pouvons considérer comme une version dégénérée du WIP film classique.

Il faut dire qu'à l'époque, une certaine frange du cinéma « traditionnel » a remis à la mode l'époque nazie et s'est penchée sur les rapports bourreaux/victimes pour le meilleur (Les damnés de Visconti) et pour le pire (l'infect Portier de nuit de Cavani). Mais le film qui eut sans doute le plus d'influence et qui ouvrit la brèche dans laquelle allait s'engouffrer tout le cinéma d'exploitation, c'est le Salon kitty de Tinto Brass que je n'ai malheureusement pas vu.



Symptomatiquement, Elsa fraulein SS de Patrice Rhomm fut également exploité sous le titre Fraulein kitty. Dans ce film, un train de femmes est affrété par les allemands pour remonter le moral des troupes au front et pour démasquer les traîtres à la cause nazie (les wagons sont truffés de micros). Dirigé d'une main de fer par Elsa (Malisa Longo, une des grandes dames du cheptel Eurociné), le train est occupé également par un officier allemand dégoûté par les horreurs nazies (Olivier Mathot) et une jeune prisonnière (Patrizia Gori) dont il va tomber amoureux.

Les âmes prudes et droites reprocheront sans doute au film de Patrice Rhomm (dont la carrière fut essentiellement vouée au porno, notamment sous le pseudonyme d'Homer Bingo) comme à tout le filon de la « nazisploitation » son mauvais goût foncier. Il n'est certes pas convenable d'utiliser le cadre de l'époque nazie pour mettre en scène une série de tableaux érotico sado-masochistes (même si tout cela reste très soft) : cela s'appelle titiller les instincts les plus bas du spectateur, mon père ! Mais faisons fi de ces scrupules moraux qui n'ont pas lieu d'être (nous ne sommes pas dans un cinéma qui se prétend « historique » ou « réaliste » mais dans la grande tradition d'une certaine littérature populaire ou de la bande dessinée pour adultes) et nous constaterons qu'Elsa Fraulein SS est un film plutôt plaisant et pas si mal fichu que ça. L'imagerie sado-masochiste caricaturale reste très gentillette et se cantonne dans le dévoilement sympathique des charmes des girondes demoiselles qui traversent le film. De plus, l'intrigue mélodramatique permet à Rhomm d'éviter toute espèce de fascination pour les gris-gris nazis.

Il y a même un scène assez émouvante où Mathot découvre des prisonniers dans un train (sans doute en route vers un camp de concentration) martyrisés par des gardes cruels. Il réalise alors toute l'horreur du régime. La scène est sans doute maladroite mais sa sincérité me paraît bien plus saine que le « sérieux » douteux de La liste de Schindler (ça, c'est pour que Vincent me reçoive à Nice avec une paire de gifles !).



Chez Eurociné, les budgets sont drastiques et il s'agit de rentabiliser les investissements. La production ayant pu bénéficier d'un train à vapeur d'époque pour Elsa Fraulein SS, il ne fallait pas le « gâcher » et c'est ainsi que fut mis en route, presque en parallèle, le tournage de Train spécial pour Hitler. Passons rapidement sur le synopsis du film, c'est le même que celui d'Elsa Fraulein SS ou presque : une chanteuse de cabaret est chargée de constituer un train spécial (un bordel) pour remonter le moral des troupes. Elle y retrouve une amie de jeunesse. Dans le rôle de la matonne sadique, on retrouve la grande Monica Swinn (une habituée des films de Franco), toute en raideur et en dureté.

Réalisé par Alain Payet qu'on ne présente plus (décédé l'an dernier, il fut l'un des plus grands stakhanovistes du « hard » français, notamment sous le pseudonyme de John Love), le film rejoue la carte de l'imagerie sadomasochiste : prisonnières flétries et cravachées, nazis particulièrement sadiques... Le film a néanmoins le défaut de durer 1 heure 48, ce qui est beaucoup trop, surtout lorsque le tout est filmé en dépit du bon sens (Jean-Pierre Bouyxou, qui fut le dialoguiste du film, raconte comment la scripte perdit toutes les feuilles de dialogues alors qu'aucun son témoin n'avait été enregistré pour cause d'économies. Brouillé avec Lesoeur, Bouyxou claque la porte de la production en refusant de réécrire ses textes. Les comédiens durent alors effectuer la post-synchronisation en tentant de se remémorer leurs dialogues. A l'image, on peut souvent constater que le mouvement des lèvres ne correspond pas du tout aux mots prononcés !) Archi-fauché (le film abuse de stock-shots, la pièce où se déroule presque toute l'action est filmée d'un seul angle, sinon le spectateur remarquerait immédiatement qu'elle n'a rien à voir avec un wagon...), le film conserve néanmoins ce petit cachet « Eurociné » qui le rend sympathique malgré tout...



Nettement plus intéressant est Nathalie, dans l'enfer nazi (tout un programme !), également réalisé par Payet. Nathalie (la croquignolette Patrizia Gori), une jeune doctoresse russe, sauve de la mort un officier allemand. Résistante aux nazis, elle est chargée par ses chefs de retrouver une espionne anglaise, prisonnière de la forteresse de Stilberg. Protégée par son amant, elle devra néanmoins subir la rude loi d'Helga, la commandante sadique des lieux (Jacqueline Laurent, génialissime). La trame mélodramatique est, certes, ultra classique et le manque de moyens rend l'entreprise parfois un peu maladroite. Mais le scénario est plus tenu, la mise en scène plus vigoureuse et l'interprétation intéressante (on retrouve Jack Taylor, un autre fidèle de Franco et la première star du porno française, Claudine Beccarie, déjà présente dans les deux précédentes œuvres citées).

Mais le plus réussi est sans doute l'atmosphère générale du film. Le folklore sadomasochiste du genre est ici placé au cœur d'un décor de forteresse qui renvoie à toute une tradition gothique. On se retrouve dans les geôles des châteaux du Moine de Lewis ou ceux de Sade. Jacqueline Laurent, dans son accoutrement de cuir, est une dominatrice particulièrement convaincante et assez effrayante. Du coup, on parvient à « croire » à ce que l'on voit à l'écran sans jamais pourtant franchir les limites du malsain (les châtiments sont cruels mais peu « réalistes », bien heureusement !).

C'est sans doute le meilleur film du lot.


Helga, la louve de Stilberg est, à nouveau, signé Alain Payet mais il ne s'agit plus ici de nazisploitation, plutôt d'un traditionnel « WIP film » (yes !). Dans un état fasciste imaginaire, la forteresse de Stilberg (le même décor que celui de Nathalie) fait office de camp de prisonniers (plutôt de prisonnières) aux opposants au régime. Régie par une main de fer par la diabolique Helga (ou Elsa, en tout cas, c'est Malisa Longo qui s'y recolle pour notre plus grand plaisir !), la forteresse va accueillir la fille même du chef des résistants...

Même s'il n'y a plus ici aucun nazi, le menu est à peu près le même. Au programme : diverses tortures, des corps dénudés et fouettés, quelques sévices après vamps et autres réjouissances qui contenteront sans souci le gourmet. La seule vraie surprise que réserve ce film, c'est sa distribution. Pour la petite histoire, Alain Payet, alors qu'il tournait Helga, réquisitionna certains de ses comédiens pour tourner en parallèle un pur porno intitulé Gamines à tout faire. Et c'est sans doute ce qui explique que tout le gotha du X français des années 70 apparaît plus ou moins longuement dans Helga, la louve de Stilberg. On y croise ainsi Dominique -l'extra-terrestre- Aveline dans le rôle d'un cruel soldat de la junte militaire (Aveline est cet inénarrable moustachu qui figure en photo à la fin de cette note), Richard- queue de béton- Allan dans celui du soldat compatissant pour la victime mais également Jacques Marboeuf, dans le rôle de Doc, le fort peu recommandable factotum de la forteresse et le toujours flegmatique Alban Ceray.


Si Bouyxou parle de Train spécial pour Hitler comme d'un film quasi-dadaïste, le vrai film dadaïste du lot est, selon moi, Les gardiennes du pénitencier du mystérieux Allan W. Steeve. Pour le coup, nous sommes ici face à la quintessence des méthodes Eurociné.

A l'origine, il s'agit d'un film de Jess Franco tourné pour le redoutable producteur suisse Erwin C. Dietrich en coproduction avec la France (Eurociné) et l'Italie. Le résultat, Frauengefängnis (ou Femmes en cage) ne donne pas satisfaction aux producteurs. Pour diverses raisons que je ne dévoile pas (je vous laisse écouter Alain Petit dans le savoureux bonus du film), les producteurs décident de faire un nouveau film avec les scènes de Franco et demande à Alain Deruelle (connu par les amateurs du cinéma X sous le nom d'Alain Thierry et qui réalisera par la suite une autre production Eurociné que je rêve de découvrir : le mythique Terreur cannibale) d'inventer une nouvelle trame et de filmer des scènes additionnelles (Nadine Pascal et Pamela Stanford sont en prison, discutent et se font des papouilles) qui, bien entendu, ne raccordent jamais ! Dans cette histoire abracadabrante d'ancien nazi reconverti en gouverneur complice d'une directrice de prison tortionnaire (Monica Swinn), seul le comédien Roger Darton fait le lien. Pour compliquer les choses, le film commencent par une scène d'Elsa Fraulein SS (Darton en officier SS, avec d'hilarants tics au visage) puis par une autre de Train spécial pour Hitler (la scène d'ouverture dans le cabaret). Cela s'appelle faire des économies et, au bout du compte, Les gardiennes du pénitencier est presque un « ready made » cinématographique !

Le plus drôle, c'est que les styles ne concordent pas du tout : Deruelle filme des scènes d'une incroyable platitude, absolument jamais cadrées, tandis que les scènes tournées par Franco trahissent le maître à mille lieues à la ronde (tout est tourné au zoom). Je ne suis pas certain que Femmes en cage compte parmi les grandes réussites de Franco (il va assez loin dans le n'importe quoi) mais son style volontiers baroque nous offre une séquence assez étonnante où la divine Lina Romay se voit attaquer par Oncle Jess (Jess Franco lui-même) au ralenti, mais un ralenti qui est joué par les comédiens dans des éclairages rougeauds splendouillets. Le résultat est assez étonnant.

Le casting, complètement hétérogène, vaut aussi son pesant de cacahouètes puisque on y croise une Monica Swinn sanglée dans une tunique très courte qui lui vaut de traverser le film en slip tandis qu'un monocle donne encore plus de cruauté à son visage et la toujours craquante Lina Romay. Les deux viennent de chez Franco tandis que Nadine Pascal et Pamela Stanford ont été filmées par Deruelle (vous suivez ?). Comme il n'y a évidemment aucun étalonnage, on voit immédiatement les « coupes » entre les deux films et, pour parfaire l'aspect totalement aberrant du produit, les éditeurs du DVD ont choisi, pour offrir un son correct, de laisser parfois la version anglaise sous-titrée (c'était aussi le cas pour les quatre films précédents). Inutile de dire que ces changements de langue accentuent l'aspect complètement déjanté des gardiennes du pénitencier !


Voilà, j'espère vous avoir donné envie d'aller jeter un œil à ce cinéma décidemment pas comme les autres. Juste un conseil pour conclure : tout cela est à consommer avec modération (parole de docteur) où vos proches risquent de demander un internement rapide si vous passez votre temps à vous enthousiasmer pour Helga, la louve de Stilberg ou Nathalie dans l'enfer nazi...



BONUS :


L'édition de films de série Z n'est pas franchement une nouveauté mais il convient de saluer ici l'effort effectué par Artus pour se distinguer de la simple copie vendue sur support DVD. Tous les films bénéficient de suppléments intéressants.

Chacun d'entre eux est présenté par Daniel Lesoeur, le fils de Marius, qui n'hésite pas à faire des éloges un brin trop grandiloquents, surtout lorsqu'on découvre les productions ensuite. Après Train spécial pour Hitler, nous avons droit également à un entretien avec le comédien Michel Charrel, qui a tourné aussi bien avec Delon et Belmondo que pour Max Pécas et Borowczyck.

Mais le plus intéressant sont ces grands entretiens réalisés pour chaque film. Passons sur celui où Christophe Lemaire, vautré sur son canapé et s'aidant sans arrêt de fiches, commente Nathalie dans l'enfer nazi et revient sur la carrière d'Alain Payet. Je me trompe peut-être mais son goût pour le cinéma bis me paraît n'être qu'une pose parce que le second degré est à la mode. Le bonhomme nous a un peu agacé.

Rien à voir, en tous cas, avec l'amour sincère que l'excellent Christophe Bier porte au genre. Ses deux interventions (après Elsa Fraulein SS et Helga) sont succulentes. L'historien du cinéma revient sur les origines de la « nazisploitation » qu'il retrouve dans une certaine littérature populaire (le bougre présente à la caméra des livres à faire bleuir de jalmincerie mon camarade Losfeld, même si je soupçonne ce dernier d'avoir dans sa caverne d'Ali Baba des ouvrages de ce genre. Bier est même parvenu à dégotter les romans de SF écrit par Rhomm sous le pseudo de Marc Star) et dans la BD italienne (la série des Essa). Avec une érudition sans faille, il parle ensuite des œuvres Eurociné, des réalisateurs et des comédiens. de la maison.

C'est passionnant.

Tout aussi passionnante est l'interview de Jean-Pierre Bouyxou après Train spécial pour Hitler dont il écrivit les dialogues. Les anecdotes que le critique de Siné-hebdo nous offre sont désopilantes (l'opérateur qui donne de légers coups dans le pied de la caméra pour donner l'illusion du mouvement saccadé du train) et témoignent de la façon dont les films étaient tournés chez Eurociné (Bouyxou n'ayant toujours qu'une ou deux scènes écrites d'avance par rapport au tournage, ce qui lui permettait toutefois de faire, de temps en temps, un peu de figuration !). Quant à l'histoire de la post-synchronisation des dialogues, je l'ai racontée plus haut...

Sur les gardiennes du pénitencier, c'est Alain Petit qui s'y colle et dévoile tous les secrets de ce film bricolé à l'extrême. Erudition et bienveillance : là encore, le bonus est parfait.

Félicitons donc sincèrement les éditions Artus pour ce vrai travail éditorial de redécouverte du cinéma bis...


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