L'échange (2008) de Clint Eastwood avec Angelina Jolie, John Malkovitch


Je me souviens des violentes polémiques qu'avaient suscitées certains articles en s'attaquant au très célébré Million dollar baby (vous n'avez qu'à vous reporter au nombre de commentaires que provoqua la note iconoclaste d'un cher collègue, notamment sa phrase de conclusion lapidaire).  A l'époque, je me rangeai volontiers du côté des défenseurs d'Eastwood, malgré deux ou trois scènes que je jugeai au mieux douteuses, au pire dégueulasses.

A voir l'effroyable navet qu'est l'échange aujourd'hui, j'en arrive presque à douter du bien-fondé de ma défense d'antan. A voir les ficelles énormes qu'utilise Eastwood pour tirer les larmes de son spectateur, j'ai presque peur d'avoir été déjà manipulé par ses œuvres anciennes que j'admire encore aujourd'hui (Sur la route de Madison, Un monde parfait...). Gageons qu'il ne s'agit là que d'un faux pas et que je n'aurai pas à réviser toute l'œuvre de ce cinéaste que je commence néanmoins à juger un brin surfait.

Pour Million dollar baby, des critiques d'ordre idéologique s'étaient faites entendre. Elles n'étaient pas sans fondement mais nous essaierons de ne pas tomber dans cet écueil pour ce film, même s'il est aisé de constater qu'Eastwood vire de plus en plus vers un républicanisme sénile et milite en douce pour le port d'armes pour chaque habitant avec la finesse d'un habitué des forums libéraux (ces essaims à neu-neus). Mais ne nous engageons pas sur ce terrain et parlons cinéma.

Tout le monde connaît désormais l'histoire du film : en 1928, un petit garçon de Los Angeles disparaît mystérieusement. Sa mère (Angelina Jolie) va devoir livrer un combat de chaque instant pour le retrouver, surtout au moment où une police corrompue jusqu'à la moelle lui restitue un enfant qui n'est pas le sien...

Tout le monde sait également qu'Eastwood s'est inspiré d'une histoire vraie. Lorsqu'un carton nous l'annonce dès le début du film, on craint le pire : comme si la « véracité » affichée d'emblée du projet réduisait à néant les soupçons de caricatures et de manipulations auxquelles Eastwood va se livrer pendant près de 2h 20 (que c'est long !).

Or c'est triste à dire mais l'échange n'est fondé que sur la manipulation. La manipulation ne me gêne absolument pas lorsqu'elle consiste à titiller l'esprit du spectateur, à le faire s'interroger sur ce qu'il voit (Hitchcock, De Palma...). Elle me dérange terriblement lorsqu'elle est un moyen pour forcer l'émotion et jouer avec les mauvais instincts du spectateur (vengeance, autodéfense...). Et pour le coup, Eastwood a recours aux méthodes les plus basiques : d'un côté, une héroïne en voie de sanctification (bonne mère, bonne travailleuse - son patron se félicite d'avoir féminisé l'équipe des chefs-, bonne citoyenne et bonne chrétienne -elle viendra au secours d'une prostituée-) et un bon pasteur évangéliste (Malkovitch, méconnaissable) ; de l'autre, une police entièrement corrompue et une administration véreuse à sa botte. Loin de moi l'idée de défendre la flicaille, qu'elle soit d'Etat ou privée et je veux bien croire à son infamie. Sauf que lorsque je lis ce genre de constat chez Ellroy, il y a toujours une ambiguïté et jamais ce manichéisme primaire. De plus, Eastwood fait preuve d'une incroyable complaisance lorsqu'il s'agit de défendre cette vision binaire du monde. Les scènes d'électrochocs à l'hôpital psychiatrique, par exemple, sont vraiment dégueulasses (ah ! ces raccords sur les visages impitoyables des infirmières) et prouvent le manque de nuance du cinéaste que l'on retrouvera dans la scène du massacre des enfants ou celle de la pendaison. En jouant à fond la carte de l'effet choc pour signifier le Mal, il est ensuite aisé de faire verser une larme sur l'innocence bafouée : c'est le gamin complice qui se repent en pleurs ou la confrontation de la mère et du criminel. Beurk !

Il n'y a pas de « mise en scène » dans l'échange : juste un chantage permanent à l'émotion reposant sur les ficelles les plus grosses à un point que le spectateur n'arrive plus à croire à cette « histoire vraie » (comment une mère a-t-elle pu accepter de reconnaître, au départ, un enfant qui n'était pas le sien ?). Tout repose sur des effets chocs que le cinéaste souligne et assène avec une lourdeur rare (l'ellipse ou le hors champ ? connais pas !).

Du coup, rien n'est incarné et les personnages ne sont que des caricatures. A ce titre, je trouve Angelina Jolie épouvantable. Désagréable à regarder physiquement tant elle a été refaite (et la lumière d'Eastwood qui la montre comme un cadavre ou sous un profil qui fait ressortir ses atroces lèvres peinturlurées n'arrange rien), elle s'avère, de plus, assez mauvaise comédienne. Disons que tout son jeu suinte la performance d'actrice en route pour les Oscars. Ce n'est plus une mère brisée par la disparition de son fils mais Dustin Hoffman dans Rain man ! Elle grimace, elle pleurniche, elle crie parfois mais jamais je ne l'ai sentie dans son rôle.

A part ça, Eastwood filme très paresseusement les câbles (de cette taille, on ne peut même plus parler de ficelles !) de son scénario et sombre dans l'académisme plan/plan (jolies voitures anciennes, couleurs passées de l'image...) le plus soporifique.  

Rien à sauver de cet Echange raté de A à Z, caricatural, pleurnichard et déplaisant à souhait...

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