Inglorious basterds (2009) de Quentin Tarantino avec Christoph Waltz, Mélanie Laurent, Brad Pitt, Diane Kruger, Michael Fassbender

 

Je me souviens d’avoir découvert l’avant-première d’Un long dimanche de fiançailles de Jeunet en compagnie d’un parterre d’enseignants (nul n’est parfait) et me souviens également de leurs réactions à la fin du film, louant les qualités de l’œuvre mais lui reprochant de n’être pas « pédagogique ». Or j’aurais envie de dire que c’est presque l’inverse qu’il aurait fallu dire : d’un côté, l’aspect « pédagogique » d’un film doit être le dernier de nos soucis (rien de plus cucul que le « pédagogique » en art) et qu’il fallait surtout pointer la médiocrité cinématographique du film de Jeunet.

Pourquoi commencer par cette digression sans aucun rapport avec Inglorious basterds ? Sans doute pour préciser qu’il ne faut surtout pas aller voir le dernier Tarantino avec l’idée de voir un film sur la deuxième guerre mondiale (avec ce que cela supposerait de « vérité » historique et d’éventuel intérêt « pédagogique »). Dès la splendide séquence d’ouverture, on devine qu’on sera plus proche du western que du film historique guerrier. On songe à la fois à La prisonnière du désert de John Ford puis, par la suite, à Sergio Leone pour la manière qu’a Tarantino de dilater le temps, de faire monter une angoisse de plus en plus prégnante lors du face-à-face entre le fermier français et le colonel nazi (l’hallucinant Christoph Waltz : un vrai régal que cet acteur). Pendant ce dialogue, Tarantino brise soudainement la continuité du champ/contrechamp par la grâce d’un travelling vertical qui nous permet de découvrir, cachée sous le plancher, la famille juive qui va se faire fusiller à l’exception de Shosanna (la ravissante Mélanie Laurent). Le plan de l’actrice prostrée dans sa cachette renvoie directement à celui d’Uma Thurman enterrée dans Kill bill et l’on devine que c’est de ce film que se rapprochera le plus Inglorious basterds puisqu’il est également question d’hommage au cinéma et de vengeance…

Ca a été dit partout : le film de Tarantino est truffé de références qui vont de l’hommage direct (les mercenaires américains bien décidés à scalper les nazis évoquent les douze salopards d’Aldrich) jusqu’aux clins d’œil patronymiques (les personnages s’appellent Castellari, Margheriti…) en passant par les emprunts stylistiques (Léone, donc) ou encore les évocations du cinéma sous l’occupation (on voit Emil Jannings et le cinéma dont s’occupe Shosanna projette des films de Pabst ou de Clouzot). Ce qui pourrait n’être qu’un petit jeu intellectuel vain prend ici toute sa puissance car, comme dans Kill Bill, Tarantino évite à mon sens le pur exercice de style (comme pouvaient l’être Boulevard de la mort et Pulp fiction) et parvient à incarner tout ce background cinéphilique (désolé pour l’atrocité de l’expression mais j’ai essayé d’éviter une répétition) dans une fiction constamment inventive, témoignant d’un plaisir toujours inégalé dans la manière de construire ses récits.

Avec Inglorious basterds, Tarantino poursuit sa réappropriation des codes du cinéma de genre et parvient à les réinventer. Alors que le cinéma « maniériste » a longtemps utilisé la référence comme le signe de la fin d’un certain cinéma « classique » et de la mort des grands récits (de Léone au Paris Texas de Wenders), Tarantino parvient à faire de la citation un véritable combustible pour sa fiction sans pour autant nuire à la croyance du spectateur dans son récit. La référence n’est pas (plus, parce que Tarantino l’a aussi fait) plaquée comme un écran entre les personnages et le spectateur. C’est ce qui distingue, selon moi, le célèbre dialogue entre Travolta et Jackson sur le « Big Mac » dans Pulp fiction (drôle et brillant mais totalement creux et vain) du monologue de Christoph Waltz sur les rongeurs (la différence entre un écureuil et un rat) qui est aussi brillant mais qui vous glace littéralement le sang au moment où il intervient dans la narration.

Tout est affaire de croyance et c’est cette croyance qui emporte totalement le spectateur à la vision d’Inglorious basterds. Certes, Tarantino ne prétend pas faire preuve d’exactitude historique mais il fait preuve d’une croyance indéfectible dans la puissance de la fiction et du cinéma. Il est quand même notable que le cinéaste accorde une place incroyablement importante à la langue (je me demande comment est sorti ce film aux Etats-Unis dans la mesure ou l’on y parle très souvent le français et l’allemand) alors que des films qui se veulent plus « justes » historiquement sont tournés entièrement en anglais. Ce respect de la langue nous voudra une scène hilarante où Brad Pitt s’essaye tant bien que mal à l’Italien avec un accent du Tennessee impayable (depuis Burn after reading, je suis en train de prendre en sympathie un acteur que je n’aimais pas du tout jusqu’ici) 

Puissance donc d’une fiction renouvelée qui nous vaut des moments de cinéma extraordinaires (l’ouverture, la séquence finale ou encore celle de la taverne) et qui parvient à nous surprendre (le film n’est pas du tout conventionnel quant à la manière qu’il a de sauver ou non ses personnages). Comme dans Jackie Brown et Kill Bill (ses deux meilleurs films, Inglorious basterds étant le troisième), Tarantino parvient également à donner une certaine épaisseur à ses personnages ou, du moins, à ne pas les rendre monolithiques.

Pour être tout à fait franc, j’avais très peur d’aller voir un film utilisant la « caution » du nazisme pour justifier la vengeance : ça me faisait trop songer au répugnant Vieux fusil de Robert Enrico. Or le film est étonnamment peu mélodramatique et si les nazis jouent le rôle des méchants comme autrefois les indiens dans les westerns, le cinéaste n’en profite pas pour les utiliser comme un défouloir commode aux instincts sadiques du spectateur (les scènes violentes –certaines le sont beaucoup- ne cherchent pas à provoquer notre jouissance).

Encore une fois, l’Histoire n’est pas respectée mais est utilisée comme un décor de cinéma que le cinéaste exploite avec toutes les conventions que cela suppose mais qu’il sait toujours revivifier. La seule Histoire qu’habite Tarantino, c’est celle du cinéma ; avec cette idée magnifique que la fiction possède une force telle qu’elle est capable de réécrire l’Histoire. Après Inglorious basterds, on serait presque tenter de substituer au fameux « Imprimez la légende » de Ford le « changez la bobine » de Tarantino. Mais je n’en dis pas plus : allez voir Inglorious basterds pour constater qu’il reste encore quelques cinéastes à croire en la toute-puissance de leur art…

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